Le Pastef, nouveau PS ? : Quand la révolution devient routine - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Politique | Par Eva | Publié le 09/11/2025 12:11:00

Le Pastef, nouveau PS ? : Quand la révolution devient routine

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La récente passe d’armes entre Abass Fall et Abdourahmane Diouf n’est pas qu’une simple querelle de personnes. Elle révèle une tendance plus profonde, et bien plus préoccupante : celle d’un Pastef en voie de « normalisation ». Le parti d’Ousmane Sonko, porté au pouvoir par une vague de contestation et de promesses de rupture, semble peu à peu reproduire les travers qu’il dénonçait chez ses prédécesseurs. Entre gestion des dissensions internes, clientélisme naissant et cooptation des anciens opposants, le Pastef ressemble de plus en plus au Parti socialiste (PS) des années 2000, ou à l’ANC sud-africain après l’apartheid : un mouvement révolutionnaire qui, une fois aux commandes, abandonne ses idéaux pour se muer en machine électoraliste.

La polémique autour des « profitards » et des « privilèges » n’est que le symptôme d’un parti qui, à peine installé, perd déjà de vue sa base militante au profit des calculs politiques.

Le Pastef a accédé au pouvoir dans un contexte exceptionnel, porté par une jeunesse lasse des alternances sans changement et avide de justice sociale. Pourtant, moins d’un an après l’élection de Bassirou Diomaye Faye, les signes de « professionnalisation » politique, pour ne pas dire de dérive, se multiplient. La querelle entre Abass Fall et Abdourahmane Diouf en est un exemple frappant. Le maire de Dakar, en accusant le ministre de « saper l’unité du parti » et de bénéficier indûment des « privilèges » du pouvoir, ne fait pas que régler un compte personnel. Il rappelle à l’ordre un allié dont les propos (« le président est au service de tous les Sénégalais, et non du Pastef uniquement ») remettent en cause le dogme d’un parti qui se croit encore en campagne.

Pourtant, cette déclaration, aussi maladroite soit-elle, pose une question fondamentale : un parti qui gouverne peut-il continuer à fonctionner comme s’il était encore dans l’opposition ? La réponse du Pastef semble claire : non. Et c’est bien là que le bât blesse. Car en cherchant à étouffer toute dissidence interne, en distribuant postes et avantages à ses fidèles, et en marginalisant les voix dissonantes, le Pastef reproduit les schémas qu’il a pourtant combattus.

La gestion des tensions internes au Pastef est édifiante. Abass Fall, en qualifiant Diouf de « profitard » et en lui reprochant son ingratitude, ne défend pas seulement une ligne politique. Il incarne une logique de parti où la loyauté se paie en prébendes, où la critique est perçue comme une trahison, et où l’unité prime sur tout le reste, y compris sur l’intérêt national. Cette posture n’est pas sans rappeler celle du PS sous Abdoulaye Wade ou Macky Sall, où les querelles de personnes et les luttes d’influence ont souvent pris le pas sur les réformes.

Pire, le Pastef semble déjà succomber au clientélisme. Les nominations controversées, les alliances avec d’anciens opposants (comme Abdourahmane Diouf, dont le parti Awalé a rejoint la coalition Diomaye Président), et les accusations de « justice des vainqueurs » trahissent une volonté de contrôler l’appareil d’État, plutôt que de le réformer. Les militants de base, qui espéraient une rupture avec les pratiques du passé, risquent de déchanter rapidement.

L’histoire africaine regorge d’exemples de partis révolutionnaires devenus, une fois au pouvoir, des machines à conserver le pouvoir. L’ANC en Afrique du Sud, après avoir mis fin à l’apartheid, s’est peu à peu transformé en un parti où les luttes internes et les affaires de corruption ont érodé sa crédibilité. Au Sénégal, le PS a suivi la même trajectoire : porté par des idéaux socialistes, il a fini par incarner le clientélisme et l’immobilisme.

Le Pastef, en refusant toute critique et en exigeant une allégeance absolue, reproduit ces erreurs. La polémique autour des « privilèges » et des « profitards » est révélatrice : elle montre que le parti, loin de se réinventer, s’enferme dans une logique de conservation. Les militants, qui voyaient en Sonko et Faye des figures de rupture, découvrent avec amertume que le pouvoir a ses lois et que celles-ci ressemblent étrangement à celles des anciens régimes.

La trajectoire du Pastef n’est pas sans rappeler celle d’autres mouvements africains. En Algérie, le FLN, parti de l’indépendance, s’est mué en une machine clientéliste. En Zambie, le Front patriotique, arrivé au pouvoir sur des promesses de changement, a rapidement cédé aux sirènes du pouvoir. Partout, le même scénario se répète : la révolution se routinise, les idéaux s’effacent devant les réalités du pouvoir, et les militants se sentent trahis.

Au Sénégal, le risque est d’autant plus grand que le Pastef a été porté par une jeunesse impatiente et exigeante. Si le parti ne parvient pas à concilier ses promesses de rupture avec les contraintes de la gouvernance, il pourrait perdre sa base aussi vite qu’il l’a conquise.

Le Pastef est aujourd’hui face à un dilemme : soit il reste fidèle à ses idéaux, au risque de devoir gérer des tensions internes et des compromis difficiles ; soit il s’engage dans la voie de la « normalisation », au prix de sa crédibilité et de sa légitimité.

La polémique entre Abass Fall et Abdourahmane Diouf n’est pas anecdotique. Elle est le symptôme d’un parti qui, à peine au pouvoir, semble déjà rongé par les mêmes maux que ceux qu’il a combattus. À Faye et Sonko de prouver qu’ils peuvent gouverner autrement. Sinon, le Pastef risque de devenir ce qu’il a toujours dénoncé : un parti comme les autres.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Bassirou Gueye.
Mis en ligne : 09/11/2025

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