CIA et cow-boys : Washington rallume la guerre froide au Venezuela - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - International | Par Eva | Publié le 10/11/2025 01:11:00

CIA et cow-boys : Washington rallume la guerre froide au Venezuela

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L’agence Associated Press révélait mardi 28 octobre 2025 que les États-Unis auraient tenté de recruter le pilote personnel de Nicolas Maduro, général Bitner Villegas, pour détourner son avion et livrer le président vénézuélien à la justice américaine. Une histoire digne d’un roman d’espionnage, si elle ne s’inscrivait dans une réalité bien plus troublante : celle du retour en force des méthodes d’ingérence américaine en Amérique latine, avec une CIA autorisée par Donald Trump à mener des opérations clandestines au Venezuela. Entre complots avortés, annonces médiatiques tonitruantes et rhétorique de la « lutte contre le narco-terrorisme », Washington semble reprendre les recettes les plus controversées de la Guerre froide.

Mais cette fois, sans même se donner la peine de cacher ses intentions. Une approche aussi dangereuse qu’inefficace, qui risque de plonger la région dans une nouvelle spirale de déstabilisation.

Pendant la Guerre froide, la CIA a orchestré pas moins de cinq changements de régime en Amérique latine (Équateur, Brésil, Chili, Bolivie, Panama), souvent au nom de la lutte contre le communisme, mais toujours au service des intérêts géopolitiques et économiques des États-Unis. Les méthodes ? Bribes, propagande, coups d’État, et soutien à des dictatures sanglantes comme celle d’Augusto Pinochet au Chili ou des juntes militaires argentines et brésiliennes. L’opération Condor, dans les années 1970, a même vu plusieurs régimes sud-américains coordonner la répression de leurs opposants, avec la bénédiction et parfois l’aide logistique, de Washington. Les conséquences ? Des décennies de violences, de reculs démocratiques et de méfiance envers « l’Empire du Nord ».

Après la chute de l’URSS, la CIA s’est faite plus discrète, mais pas inactive. Sous couvert de « guerre contre la drogue », elle a continué à intervenir, notamment en Colombie, au Pérou et au Mexique, où ses actions ont souvent exacerbé les violences plutôt que de les résoudre. Le Venezuela, lui, est dans le collimateur depuis l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir. Accusé de « narco-terrorisme » par Washington depuis 2020, Nicolas Maduro hérite aujourd’hui d’une pression sans précédent, avec une CIA autorisée à agir ouvertement – une première dans l’histoire récente.

L’affaire du pilote Bitner Villegas est révélatrice. Non seulement les États-Unis ont tenté de le corriger, mais ils ont aussi affiché leur échec : Marshall Billingslea, un haut responsable du Trésor, a posté sur X une photo du général vénézuélien, prise lors d’une rencontre secrète un an plus tôt. Un geste qui relève moins de l’espionnage que de l’intimidation publique. « C’est une sorte de revanche contre ce pilote qui n’a pas voulu jouer le jeu », note l’AP. Sauf que cette « revenge porn » diplomatique a surtout nourri la paranoïa de Maduro – et donné des arguments à sa propagande.

Pire, Donald Trump a lui-même confirmé, début octobre, avoir autorisé la CIA à mener des opérations clandestines au Venezuela, une annonce habituellement gardée secrète. « Je ne vois pas ce qu’il pourrait y avoir de clandestin dans des opérations de la CIA qui sont presque annoncées à l’avance », ironise Annette Idler, spécialiste d’Oxford. Le principe de « déni plausible », pierre angulaire des opérations secrètes, a volé en éclats. À la place, une communication agressive, destinée avant tout à l’électorat trumpiste, pour qui la « fermeté » contre Maduro est un argument de campagne.

Derrière la rhétorique du « narco-terrorisme », les experts s’accordent à voir une stratégie de déstabilisation pure et simple. Les frappes américaines contre des « bateaux de drogue » vénézuéliens, présentées comme une réponse à la crise des opioïdes, visent en réalité à asphyxier économiquement le régime. Sauf que le Venezuela n’est pas un grand producteur de cocaïne celle-ci vient surtout de Colombie et du Pérou. Quant au fentanyl, responsable de la majorité des overdoses aux États-Unis, il est fabriqué au Mexique. « Tout cela n’a rien à voir avec les drogues, mais tout avec la volonté de faire tomber Maduro », résume un analyste.

Les coups d’État et opérations clandestines de la CIA en Amérique latine ont rarement atteint leurs objectifs à long terme. Au Chili, la chute d’Allende a installé Pinochet, mais au prix d’une dictature sanglante et d’une radicalisation durable de la gauche. En Iran, en Indonésie, ou au Guatemala, les régimes installés par Washington ont souvent fini par se retourner contre les États-Unis, ou par s’effondrer dans le chaos. Pourquoi le Venezuela ferait-il exception ?

En affichant ses intentions, Trump risque de souder le régime de Maduro. La paranoïa du président vénézuélien n’est pas infondée : les tentatives de recrutement de son entourage, les frappes militaires, et les annonces médiatiques ne font que renforcer sa légitimité auprès de ses partisans et de l’armée. « Plus la pression est forte, plus le régime se radicalise », prévient Luca Trenta, de l’université de Swansea.

Caracas a déjà accusé Washington de préparer un « false flag » une attaque sous faux drapeau pour justifier une intervention. Une hypothèse prise au sérieux par plusieurs observateurs, alors que les États-Unis ont massé des navires de guerre dans les Caraïbes. « Le Venezuela pourrait rétorquer en lançant des opérations sur le sol américain », craint Annette Idler. Une perspective qui rappelle les pires heures de la Guerre froide.

Les États-Unis ont longtemps fermé les yeux sur le trafic de drogue quand il servait leurs intérêts. Dans les années 1980, la CIA a même été accusée d’avoir toléré, voire facilité, le trafic de cocaïne par les Contras nicaraguayens pour financer leur guerre contre les sandinistes. Aujourd’hui, le prétexte antidrogue sert surtout à justifier une pression militaire et économique sur un régime indocile.

Ronald Reagan, dans les années 1980, avait aussi utilisé la CIA pour déstabiliser l’Amérique latine, mais avec une différence majeure : il gardait une apparence de subtilité. Trump, lui, assume ses méthodes brutales, sans se soucier des conséquences. « Il se montre beaucoup plus agressif et transparent dans ses intentions », note Luca Trenta. Résultat : une CIA instrumentalisée, une région sous tension, et une crédibilité américaine en berne.

Le Venezuela n’est que la dernière cible en date d’une politique étrangère américaine qui n’a pas tiré les leçons de ses échecs passés. En ressuscitant les méthodes de la Guerre froide, sans même en garder les précautions, Donald Trump joue avec le feu. Le risque ? Une déstabilisation durable de l’Amérique latine, une radicalisation des régimes en place, et une nouvelle vague de migrations et de violences.

L’histoire devrait pourtant servir de leçon : les ingérences américaines en Amérique latine ont toujours eu un coût humain et politique exorbitant. Cette fois, avec une CIA transformée en outil de communication électorale, le danger est encore plus grand. À force de vouloir jouer aux cow-boys, Washington pourrait bien se retrouver avec une région entière en feu et personne pour éteindre l’incendie.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Moussa Gueye.
Mis en ligne : 10/11/2025

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