Indissociables mais fragiles : Les limites du duo Sonko–Diomaye - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Politique | Par Eva | Publié le 13/11/2025 12:11:00

Indissociables mais fragiles : Les limites du duo Sonko–Diomaye

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« Sonko et Diomaye n’ont pas le choix : ils sont condamnés à être ensemble, par le destin, par l’Histoire, par l’affection mutuelle qu’ils ont l’un pour l’autre et par l’amour qu’ils portent à la Nation. » C’est en ces termes qu’El Malick Ndiaye, président de l’Assemblée nationale, a récemment tenté de dissiper les rumeurs de dissensions entre le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre, Ousmane Sonko. Pourtant, derrière cette déclaration lyrique se cache une réalité bien plus inquiétante : celle d’une alliance politique forcée, où l’obligation d’être « indissociables » se transforme en une véritable prison pour la gouvernance du pays. Plutôt qu’un gage de stabilité, cette union contrainte pourrait bien paralyser la prise de décision, étouffer l’émergence d’un leadership clair, et finalement desservir les intérêts du Sénégal.

L’histoire récente du Sénégal a vu naître un tandem exécutif inédit : un président, Bassirou Diomaye Faye, dont la légitimité repose en grande partie sur le soutien de son Premier ministre, Ousmane Sonko, empêché de se présenter à l’élection présidentielle pour des raisons judiciaires. Leur victoire commune en 2024 a été saluée comme une rupture générationnelle et idéologique, mais elle a aussi instauré une dynamique de pouvoir atypique, où le chef de l’État doit composer avec un Premier ministre au charisme et à l’influence indéniables. Dès lors, leur relation n’est pas seulement une collaboration, mais une interdépendance absolue, où chacun dépend de l’autre pour survivre politiquement.

Les déclarations d’El Malick Ndiaye, loin d’apaiser les craintes, soulignent au contraire la fragilité de cette alliance. En affirmant que les deux hommes sont « condamnés à être ensemble », il reconnaît implicitement qu’ils n’ont pas d’autre option : toute rupture serait synonyme de chaos pour leur parti, le PASTEF, et pour le pays. Mais une telle dépendance mutuelle est-elle vraiment un atout pour le Sénégal ?

Les signes de tension entre Sonko et Diomaye Faye sont de plus en plus visibles. En juillet 2025, Ousmane Sonko a publiquement dénoncé un « problème d’autorité » au Sénégal, critiquant indirectement le président pour son manque de soutien face aux attaques dont il dit être victime. « Si c’était moi le président, les choses ne se passeraient pas comme ça », a-t-il lancé, révélant une frustration palpable et une volonté de marquer son territoire politique. Ces déclarations, loin d’être anodines, illustrent les limites d’un pouvoir partagé où chacun cherche à préserver son influence, au risque de paralyser l’action gouvernementale.

L’histoire politique, au Sénégal comme ailleurs, regorge d’exemples où des duos exécutifs ont été paralysés par leur interdépendance. En France, les cohabitations entre un président et un Premier ministre de bords opposés ont souvent donné lieu à des blocages institutionnels, chaque camp refusant de céder à l’autre par crainte de perdre la face. En Afrique, des alliances similaires ont parfois conduit à des crises ouvertes, comme en Côte d’Ivoire ou au Rwanda, où des tensions non résolues entre dirigeants ont plongé le pays dans l’instabilité.

Au Sénégal, la situation est d’autant plus préoccupante que le pays fait face à des défis majeurs : gestion des ressources pétrolières et gazières, relation avec la France et le FMI, réforme des institutions, et attentes sociales immenses. Or, comment prendre des décisions audacieuses et cohérentes lorsque chaque pas en avant doit être négocié entre deux pôles de pouvoir aussi forts l’un que l’autre ? L’indissociabilité proclamée par El Malick Ndiaye n’est pas une force, mais une faiblesse : elle transforme chaque dossier en un exercice d’équilibrisme, où la peur de froisser l’autre prime sur l’intérêt général.

Premièrement, cette alliance forcée empêche l’émergence d’un leadership clair. Diomaye Faye, élu président, se retrouve dans l’ombre de Sonko, dont le charisme et la base militante restent intacts. À l’inverse, Sonko, bien que Premier ministre, ne peut pleinement exercer son rôle sans l’aval du président. Résultat : les Sénégalais ne savent plus qui écouter, qui tenir pour responsable des succès ou des échecs. Cette confusion des rôles affaiblit la crédibilité de l’exécutif et nourrit un sentiment d’impuissance chez les citoyens.

Deuxièmement, l’interdépendance entre les deux hommes limite leur capacité à gouverner. Chaque décision devient un compromis, chaque réforme un marchandage. Les exemples ne manquent pas : en juillet 2025, Sonko a accusé Diomaye Faye de ne pas le soutenir face aux attaques, tandis que ce dernier a dû temporiser sur des dossiers sensibles, comme la gestion de la dette ou les relations avec les partenaires internationaux. Une gouvernance efficace exige de la réactivité et de la cohérence, deux qualités difficiles à concilier lorsque chaque pas doit être validé par deux centres de pouvoir.

Enfin, cette union contrainte risque de masquer les véritables enjeux du pays. Plutôt que de se concentrer sur les réformes structurelles ou les attentes sociales, le tandem exécutif semble obsédé par la préservation de son équilibre interne. Les Sénégalais, eux, attendent des solutions concrètes à leurs problèmes quotidiens : emploi, éducation, santé, sécurité. Or, comment y répondre lorsque l’énergie politique est accaparée par la gestion d’un duo aussi fragile qu’indissociable ?

L’union entre Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye n’est pas une bénédiction, mais un carcan. En étant « condamnés à être ensemble », les deux hommes se condamnent aussi à une gouvernance paralysée, où la peur de la rupture prime sur l’audace et la clarté. Le Sénégal mérite mieux qu’un exécutif tiraillé entre deux égaux, où chaque décision est un compromis boiteux et chaque avancée un exercice de funambule.

Il faut reconnaître que l’indissociabilité n’est pas une fatalité, mais un choix et un mauvais choix, au regard des défis auxquels le pays est confronté. Pour avancer, le Sénégal a besoin d’un leadership assumé, d’une responsabilité claire, et d’une gouvernance libérée des pesanteurs d’une alliance forcée. Sinon, c’est tout le projet de rupture porté par Sonko et Diomaye qui risque de se transformer en une prison pour le pays et ses citoyens.

La question n’est pas de savoir si leur union tiendra, mais à quel prix pour le Sénégal. Et ce prix, aujourd’hui, semble déjà bien trop élevé.

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Eve Sagna.
Mis en ligne : 13/11/2025

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