Le piège de la victimisation : Comment Sonko enferme ses militants dans le passé - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Politique | Par Eva | Publié le 07/12/2025 12:12:00

Le piège de la victimisation : Comment Sonko enferme ses militants dans le passé

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Un article récent, intitulé « Entre mémoire et émotion : la relation singulière entre Sonko et ses militants », décrit avec justesse l’alchimie puissante qui unit Ousmane Sonko à sa base. Ce lien, nous dit-on, dépasse l’adhésion idéologique ou partisane : il puise sa force dans une mémoire collective de la souffrance, une émotion partagée, et une quête de justice qui façonne l’avenir. Pourtant, si cette analyse éclaire la dynamique affective du mouvement, elle occulte un risque majeur : celui d’une économie de la victimisation, où la mémoire devient non pas un levier d’émancipation, mais une prison.

En entretenant constamment le récit de la souffrance, Sonko crée une dépendance affective chez ses militants, au détriment d’une réflexion stratégique et d’un projet politique clair. Ce parti pris négatif ne nie pas la réalité des injustices subies, mais interroge : et si, en cultivant la mémoire de la douleur, Sonko empêchait ses militants de penser l’avenir ?

La mobilisation par la victimisation n’est pas nouvelle. Des mouvements tamouls en France aux discours postcoloniaux en Algérie, en passant par les stratégies d’influence russe au Sahel, l’histoire montre que le registre victimaire peut être un outil de mobilisation redoutablement efficace, mais aussi un piège. Comme le souligne l’École de Pensée sur la Guerre Économique, la victimisation est souvent utilisée pour « forger un modèle identitaire qui alimente la polarisation et empêche une lecture objective des événements historiques ». Au Sénégal, le Pastef s’inscrit dans cette logique : les arrestations, les violences et les humiliations subies entre 2021 et 2024 sont devenues le socle d’un engagement politique où l’émotion prime sur la raison.

Les neurosciences confirment ce mécanisme : l’amygdale, siège des émotions, stimule l’hippocampe, centre de la mémoire. Une émotion modérée renforce le souvenir et la cohésion ; une émotion excessive, en revanche, désorganise la pensée et paralyse l’action. Or, le discours de Sonko joue systématiquement sur cette corde, transformant la colère en carburant politique, mais au risque de figer le mouvement dans une posture réactive et stérile.

La mémoire de la souffrance, une fois symbolisée par la justice, pourrait se muer en intelligence collective. Pourtant, l’exemple des mouvements politiques enfermés dans la victimisation montre une tout autre réalité. Les partis d’extrême droite en Europe, par exemple, ont longtemps exploité le récit victimaire pour souder leur base, avant de perdre en crédibilité et en capacité à gouverner. Leur échec tient à une même cause : l’incapacité à proposer un projet autre que la dénonciation du passé.

Chez le Pastef, chaque nouvel épisode (arrestation, libération, victoire, recul) réactive la mémoire du précédent, renforçant une boucle mémorielle qui se referme sur elle-même. Comme le note Denis Peschanski, « à trop solliciter l’émotion, on sacrifie le processus réflexif ». Les militants, unis par la souffrance, deviennent vulnérables à toute forme de populisme, car leur engagement n’est plus motivé par un programme, mais par une quête de réparation infinie.

Pire, cette économie de la victimisation isole le mouvement. Comme les militants tamouls en France, dont le discours victimaire a fini par les marginaliser politiquement, le Pastef risque de se couper des alliances nécessaires pour transformer la société. La mémoire, au lieu d’être un moteur, devient un fardeau.

L’immobilisme politique : En focalisant ses militants sur le passé, Sonko les empêche de se projeter dans un avenir constructif. La quête de justice, légitime, ne doit pas occulter l’urgence de proposer des solutions concrètes aux défis socio-économiques du Sénégal.

La radicalisation : Les travaux en psychologie sociale montrent qu’une identité fondée sur la victimisation peut mener à une radicalisation, surtout si le leader entretient un climat de ressentiment plutôt que de résilience.

L’isolement stratégique: Les mouvements qui s’enferment dans le récit victimaire finissent par perdre leur capacité à dialoguer avec d’autres forces politiques, comme l’illustrent les exemples algérien ou sahélien.

L’Algérie offre un cas d’école. En plaçant la France dans le rôle éternel du « bourreau », le pouvoir algérien a alimenté une surenchère mémorielle qui masquait les échecs de sa politique intérieure. Résultat : une société polarisée, incapable de tourner la page. Le Pastef, s’il persiste dans cette voie, pourrait connaître le même sort : une base militante mobilisée, mais un mouvement incapable de gouverner.

La relation entre Sonko et ses militants repose sur une vérité profonde : l’émotion est un point de départ, jamais une destination. Pour éviter l’impasse, le leader doit transformer la mémoire de la souffrance en vision d’avenir, et la colère en intelligence collective. Sinon, le Pastef risque de devenir un mouvement de protestation éternelle, condamné à répéter le passé sans jamais le dépasser.

La vraie résilience ne consiste pas à entretenir la blessure, mais à la transcender. C’est ce pari que Sonko doit faire aujourd’hui non pas contre l’émotion, mais au-delà d’elle. Car entre mémoire et immobilisme, il existe une voie étroite : celle de la lucidité, de la stratégie, et de l’action. C’est dans cette voie que s’inventent les grands leaderships. Le Pastef en a-t-il encore la capacité ?

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Eve Sagna.
Mis en ligne : 07/10/2025

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