17 ans de l’APR : Le parti qui a normalisé l’impunité - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Politique | Par Maimouna | Publié le 16/12/2025 08:12:00

17 ans de l’APR : Le parti qui a normalisé l’impunité

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Le 1er décembre 2025, l’Alliance pour la République (APR) célèbre ses 17 ans d’existence. À cette occasion, l’ancien président Macky Sall a adressé un message chaleureux à ses militants, les appelant à poursuivre leur engagement pour « un Sénégal prospère et solidaire ». Pourtant, derrière ce discours consensuel, le bilan de l’APR interroge : celui d’un parti dont l’héritage le plus durable pourrait bien être l’instauration d’une culture de l’impunité, au détriment de la confiance des citoyens dans les institutions. Une analyse des faits récents révèle une série d’affaires de corruption restées sans suite, une justice instrumentalisée, et des conséquences désastreuses pour la démocratie sénégalaise.

Créé en 2008, l’APR est arrivé au pouvoir en 2012 avec la promesse de rompre avec les pratiques clientélistes et corrompues du passé. Macky Sall s’était engagé à faire de la lutte contre la corruption une priorité, créant même l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) en 2012. Pourtant, les années qui ont suivi ont été marquées par des scandales à répétition, des enquêtes étouffées et une justice souvent perçue comme un outil au service du pouvoir.

Plusieurs dossiers emblématiques illustrent cette dérive. En 2020, une affaire de corruption présumée dans le secteur pétrolier et gazier, impliquant Aliou Sall, frère de l’ex-président, avait été classée sans suite par la justice, malgré des soupçons de versements illicites et de contrats antidatés. Plus récemment, cinq anciens ministres de Macky Sall ont été poursuivis pour malversations dans la gestion d’un fonds anti-Covid, mais ces procédures n’ont été lancées qu’après le départ du pouvoir de l’APR, sous la pression du nouveau gouvernement. Pendant des années, ces mêmes ministres, ainsi que d’autres proches du régime, ont bénéficié d’une impunité de fait, protégés par leur appartenance au parti au pouvoir.

L’affaire des « faux chiffres » des finances publiques, révélée par la Cour des comptes en 2025, est un autre exemple frappant. Le rapport accuse l’ex-régime d’avoir dissimulé la véritable ampleur de la dette (99,67 % du PIB au lieu des 78 % annoncés) et du déficit budgétaire (12,3 % contre 4,9 % officiellement), sans que ces manipulations ne fassent l’objet de sanctions immédiates. Pire, une loi d’amnistie votée en mars 2024 par l’APR a tenté de couvrir les violences politiques et les dérives financières des dernières années, avant d’être partiellement invalidée par le Conseil constitutionnel.

L’instrumentalisation de la justice sous Macky Sall a été dénoncée à plusieurs reprises par des intellectuels, des ONG et des opposants. Des figures comme Ousmane Sonko, aujourd’hui Premier ministre, ont été poursuivies dans des conditions jugées politiques, tandis que des membres de l’APR impliqués dans des affaires de corruption ou de détournement échappaient à toute sanction. Des intellectuels sénégalais et internationaux ont alerté sur « une violation flagrante, répétée et disproportionnée des droits des citoyens » et une « perpétuation d’un effort constant d’instrumentalisation politique du système judiciaire ». La justice, censée être indépendante, est devenue un outil de répression contre l’opposition et de protection pour les alliés du pouvoir.

Cette normalisation de l’impunité a profondément érodé la confiance des Sénégalais dans leurs institutions. Selon des analyses locales, l’impunité perçue encourage la criminalité et saper l’autorité de l’État, créant un cercle vicieux où les citoyens ne croient plus en la capacité des institutions à rendre justice. Les manifestations réprimées dans le sang entre 2021 et 2024, les dizaines de morts et les centaines d’arrestations arbitraires ont laissé des traces durables, alimentant un sentiment d’injustice et de désillusion.

Le Sénégal n’est pas un cas isolé. Dans d’autres pays africains, comme l’Afrique du Sud ou le Nigeria, des régimes ont également été accusés de protéger leurs proches au détriment de l’État de droit. Cependant, ce qui distingue le cas sénégalais, c’est l’ampleur de la déconnexion entre le discours officiel (transparence, bonne gouvernance) et la réalité des pratiques. Alors que des pays comme le Ghana ou le Botswana ont su renforcer leurs mécanismes de lutte contre la corruption, le Sénégal a vu son indice de perception de la corruption stagner, voire se dégrader, malgré les réformes annoncées.

À l’occasion de ses 17 ans, l’APR célèbre son histoire et son engagement. Pourtant, le parti laisse derrière lui un héritage bien plus sombre : celui d’un système où l’impunité est devenue la règle, où la justice est sélective, et où la confiance des citoyens dans les institutions est profondément ébranlée. La promesse d’un « Sénégal prospère et solidaire » ne peut se construire sur de telles bases.

Pour restaurer la crédibilité de l’État, il faudra bien plus que des vœux pieux : il faudra des actes concrets, une justice indépendante, et la fin de l’impunité pour tous, quels que soient leur rang ou leur appartenance politique. Le vrai défi pour l’avenir du Sénégal sera de tourner définitivement la page de ces années de compromissions, et de reconstruire un contrat social fondé sur la transparence et l’égalité devant la loi.

La reddition des comptes promise par le nouveau pouvoir sera-t-elle à la hauteur des attentes, ou l’impunité restera-t-elle la marque de fabrique de la politique sénégalaise ? La réponse dépendra de la capacité des nouvelles autorités à rompre avec les pratiques du passé.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Tapha Diop.
Mis en ligne : 16/12/2025

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