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Ce vendredi 28 novembre 2025, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a dénoncé devant l’Assemblée nationale une « combine » en Guinée-Bissau, où un coup d’État militaire a renversé le président Umaro Sissoco Embaló. Il a appelé au respect du processus électoral et à la libération des personnes arrêtées, tout en critiquant implicitement la CEDEAO pour sa gestion de la crise. Si son engagement en faveur de la démocratie mérite d’être salué, ses déclarations sonnent étrangement creux au regard des réalités électorales et politiques de l’Afrique de l’Ouest.
En effet, comment peut-on exiger le respect des urnes dans un pays voisin, tout en fermant les yeux sur les fraudes électorales et les troisièmes mandats qui minent la région depuis des années ? Son discours révèle un double langage qui mérite d’être questionné.
L’Afrique de l’Ouest est régulièrement secouée par des scrutins entachés d’irrégularités. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara a été réélu pour un troisième mandat en 2020, malgré une Constitution limitant initialement les mandats à deux, en invoquant une nouvelle République et un « reset » du compteur électoral une manœuvre juridique contestée qui a provoqué des violences et une crise politique majeure. Au Togo, Faure Gnassingbé est au pouvoir depuis 2005, et le pays a récemment organisé des élections sénatoriales dans un contexte de transition institutionnelle peu transparent. Au Cameroun, les fraudes électorales sont systématiques, avec des techniques sophistiquées de manipulation des listes électorales et de charcutage des circonscriptions. Même au Sénégal, pays souvent cité en exemple, les dernières années ont été marquées par des tensions autour de la question du troisième mandat et des accusations de manipulation des listes électorales.
Dans ce contexte, les coups d’État sont parfois perçus par une partie de la population comme des « correctifs » face à des régimes corrompus ou illégitimes. Une étude de l’Institut des études de sécurité (ISS) souligne que la récurrence des changements anticonstitutionnels de gouvernement (CAG) en Afrique de l’Ouest s’explique en grande partie par la mauvaise gouvernance, la corruption endémique et l’inefficacité des systèmes judiciaires. En Guinée-Bissau, classée 158e sur 180 pays dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International, l’instabilité politique et la pauvreté ont favorisé l’émergence de narcotrafiquants et une défiance généralisée envers les institutions. Les citoyens, lassés des promesses non tenues, voient parfois dans les putschs une issue à des décennies de gabegie.
Ousmane Sonko, figure de l’opposition sénégalaise avant de devenir Premier ministre, a bâti sa réputation sur la dénonciation des fraudes fiscales et des abus de pouvoir. Pourtant, son indignation face au coup d’État en Guinée-Bissau contraste avec son silence relatif sur les dérives électorales dans d’autres pays. Pourquoi ne dénonce-t-il pas avec la même vigueur les troisièmes mandats en Côte d’Ivoire, au Togo, ou les fraudes massives au Cameroun et en Guinée ? Pourquoi ne s’insurge-t-il pas contre les régimes qui, sous couvert de légalité, verrouillent le jeu démocratique ?
Son appel au respect du processus électoral en Guinée-Bissau semble ignorer que, dans de nombreux pays de la région, les élections ne sont souvent qu’une façade. Les observateurs internationaux et la société civile relèvent régulièrement des coupures d’Internet, des restrictions des libertés, et des commissions électorales aux ordres. En 2024, des élections en Mozambique, en Namibie, et au Burundi ont encore été émaillées d’accusations de fraude et de répression violente des protestations. Même la CEDEAO, qu’il critique, a du mal à imposer des sanctions cohérentes : elle a suspendu le Mali, le Niger et le Burkina Faso après leurs coups d’État, mais peine à agir contre les présidents qui modifient les Constitutions pour se maintenir au pouvoir.
Sonko s’indigne du sort d’Embaló, exfiltré vers Dakar, mais reste discret sur les exactions commises par des régimes « élus » contre leurs opposants. En Côte d’Ivoire, les violences pré-électorales de 2020 ont fait des dizaines de morts, sans que cela ne suscite chez lui une réaction aussi virulente. Au Cameroun, les élections sont régulièrement truquées, avec des recensements électoraux biaisés et des résultats contestés sans que Sonko ne monte au créneau.
Le Premier ministre sénégalais exige le respect des verdicts des urnes en Guinée-Bissau, mais son propre pays a connu des crises autour de l’éligibilité de ses dirigeants, y compris la sienne. En 2023, il a été condamné puis réhabilité après des mois de tensions, dans un imbroglio judiciaire qui a failli plonger le Sénégal dans le chaos. Comment peut-il donner des leçons de démocratie alors que son parcours politique est lui-même marqué par des controverses ?
Les coups d’État ne sont pas des accidents, mais le symptôme d’un malaise démocratique plus large. En Guinée, au Mali, ou au Burkina Faso, les putschs ont été accueillis par une partie de la population comme une libération face à des gouvernements perçus comme corrompus et inefficaces. Plutôt que de condamner systématiquement les militaires, ne faudrait-il pas interroger les conditions qui rendent ces interventions possibles à commencer par l’absence d’alternance pacifique et la confiscation du pouvoir par une élite politique ?
Ousmane Sonko a raison de rappeler que les coups d’État ne sont pas une solution. Mais son discours gagnerait en crédibilité s’il étendait sa critique aux régimes civils qui, par leur autoritarisme et leur corruption, préparent le terrain aux putschs. La démocratie en Afrique de l’Ouest ne se résume pas à la condamnation des uniformes ; elle passe aussi par la lutte contre les fraudes électorales, la limitation des mandats, et la transparence des processus politiques.
Si le Premier ministre veut truly incarner l’espoir d’une Afrique plus juste, il doit cesser de brandir des principes à géométrie variable. La souveraineté et le respect des urnes ne peuvent être défendus à sens unique. Il est temps d’exiger la même rigueur pour tous y compris pour les dirigeants « élus » qui bafouent les règles démocratiques au nom de la stabilité. Sinon, ses appels resteront des mots, et l’Afrique de l’Ouest continuera de osciller entre coups d’État et élections truquées, au détriment de ses peuples. La vraie combine, peut-être, est celle qui consiste à dénoncer les putschs tout en fermant les yeux sur les dictatures civiles.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Anonyme.
Mis en ligne : 16/12/2025
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