La TTA : Un cadeau empoisonné pour les diasporas - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Economie | Par Maimouna | Publié le 17/12/2025 02:12:00

La TTA : Un cadeau empoisonné pour les diasporas

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Le 28 novembre 2025, l’Association Professionnelle des Établissements de Paiement et de Monnaie Électronique du Sénégal (APEP/EMES) a officialisé l’entrée en vigueur de la Taxe sur les Transferts d’Argent (TTA), une mesure fiscale de 0,5% sur chaque transaction électronique. Présentée comme un levier du Plan de Redressement Économique et Social (PRES), cette taxe vise à renforcer les ressources publiques. Pourtant, derrière cette annonce technique se cache une réalité bien plus amère pour les Sénégalais de l’extérieur. Ces derniers, qui envoient chaque année des milliards à leurs familles, reçoivent un message clair : « Vos sacrifices ne suffisent pas. Nous voulons notre part. » Si l’État cherche à combler ses déficits, c’est bien la diaspora, pilier de l’économie nationale, qui en paiera le prix fort.

Les transferts de la diaspora sénégalaise représentent près de 10% du PIB national, soit plus de 2 000 milliards de FCFA en 2024. Ces fonds, souvent vitaux pour des millions de ménages, financent l’éducation, la santé, l’immobilier et même des projets entrepreneuriaux. En 2024, la Banque mondiale soulignait que ces envois dépassaient l’aide publique au développement et les investissements directs étrangers, faisant de la diaspora le « premier bailleur » du pays. Pourtant, malgré cette contribution colossale, l’État sénégalais a choisi de taxer ces flux, au risque de fragiliser un filet social déjà tendu.

La TTA s’applique à tous les transferts, retraits et paiements électroniques, à l’exception des salaires et bourses. Or, ce sont précisément les petites transactions, celles qui permettent à des familles de subsister, qui seront les plus touchées. En Afrique, des exemples récents montrent que taxer les envois de fonds réduit leur volume et aggrave la précarité. Au Kenya, une taxe sur l’argent mobile a fait chuter les transferts familiaux de 15%. Au Sénégal, où les frais de transfert sont déjà parmi les plus élevés au monde (jusqu’à 17,5% pour 200 dollars), cette nouvelle ponction risque d’accentuer la pression sur des budgets familiaux déjà serrés.

La diaspora sénégalaise est souvent célébrée pour son rôle économique. Pourtant, en instaurant cette taxe, l’État semble oublier que ces fonds sont déjà amputés par des frais exorbitants et des risques de change. Pire, cette mesure intervient alors que le gouvernement lance des « diaspora bonds » pour attirer leurs investissements. Comment convaincre des Sénégalais de l’extérieur de placer leur épargne dans leur pays d’origine, si chaque franc envoyé est désormais rogné par une taxe supplémentaire ?

Les diasporas africaines, confrontées à des taxes similaires ailleurs, ont souvent réagi en réduisant leurs envois ou en se tournant vers des circuits informels. Aux États-Unis, une taxe de 3,5% sur les transferts a suscité une vive inquiétude parmi les communautés africaines, poussant certains à envisager des alternatives risquées. Au Sénégal, où les transferts sont une bouée de sauvetage pour des millions de personnes, la TTA pourrait avoir le même effet : décourager les envois officiels, au profit de canaux moins transparents et plus coûteux.

L’État sénégalais a longtemps encouragé les transferts de la diaspora, reconnaissant leur rôle clé dans la stabilité économique. Taxer ces flux aujourd’hui, c’est non seulement une incohérence politique, mais aussi une trahison de la confiance placée par des millions de Sénégalais de l’extérieur. Après avoir compté sur leur solidarité, l’État leur demande maintenant de payer pour les défaillances de la gestion publique.

Plusieurs pays africains ont tenté de taxer les transferts de leur diaspora, avec des résultats désastreux. Au Liberia, où ces fonds représentent 19% du PIB, une pression fiscale accrue a poussé les communautés à contourner les systèmes officiels. En Ouganda, une taxe de 1% sur l’argent mobile a entraîné une baisse de 15% des transferts familiaux. Même aux États-Unis, une taxe de 3,5% sur les envois vers l’Afrique a été dénoncée comme une « attaque frontale » contre les diasporas, déjà fragilisées par la crise économique. Ces exemples montrent que taxer les transferts, c’est prendre le risque de tarir une source de revenus essentielle.

La TTA est présentée comme une mesure de justice fiscale. Pourtant, en ciblant les transferts de la diaspora, l’État sénégalais s’attaque à l’un des rares leviers de résilience économique du pays. Plutôt que de ponctionner ceux qui soutiennent déjà leurs familles et leur nation, ne vaudrait-il pas mieux s’attaquer aux vraies sources de gaspillage, ou encore renforcer la lutte contre l’évasion fiscale des grandes entreprises ?

En taxant les transferts d’argent, le Sénégal envoie un signal dangereux : celui d’un État prêt à sacrifier ses propres enfants pour combler ses déficits. À court terme, la TTA rapportera peut-être quelques milliards. Mais à long terme, elle pourrait bien coûter bien plus cher, en confiance perdue et en solidarité brisée. La question reste entière : jusqu’où l’État est-il prêt à aller pour remplir ses caisses, même au risque de fragiliser ceux qui, depuis des décennies, le maintiennent à flot ?

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Tapha Gueye.
Mis en ligne : 17/12/2025

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