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Ce mardi 16 décembre 2025, le Sénégal inaugure avec faste sa première usine d’assemblage de véhicules militaires, ISEVEM, présentée comme une avancée majeure vers l’autonomie industrielle et la souveraineté nationale. Portée par un partenariat public-privé et soutenue par le Fonds souverain d’investissements stratégiques (FONSIS), cette infrastructure est saluée par les autorités comme un levier de développement technologique et de création d’emplois. Pourtant, derrière les discours officiels, la viabilité économique réelle de ce projet mérite un examen attentif. À l’heure où le pays fait face à des défis budgétaires et sociaux pressants, il est légitime de s’interroger : ISEVEM est-elle une véritable avancée industrielle ou un symbole politique coûteux ?
Le projet ISEVEM s’inscrit dans la vision « Sénégal 2050 », qui vise à réduire la dépendance aux importations et à positionner le pays comme un acteur régional dans le domaine de la défense. L’usine, installée à Diamniadio, doit assembler jusqu’à 1 000 véhicules militaires par an, avec un investissement initial de 35 milliards de FCFA, dont 35 % financés par l’État via le FONSIS. Les autorités promettent des retombées en termes d’emplois, de transfert de technologies et de montée en compétences pour les ingénieurs et techniciens locaux.
Cependant, cette initiative intervient dans un contexte régional marqué par une concurrence féroce. Le Maroc et l’Afrique du Sud, déjà bien établis dans l’industrie militaire, bénéficient de partenariats technologiques solides et d’une expérience industrielle bien plus ancienne. Le Maroc, par exemple, a développé des joint-ventures avec des géants comme Baykar (Turquie) ou Boeing (États-Unis), lui permettant de produire localement des drones et des hélicoptères, tout en exportant une partie de sa production. L’Afrique du Sud, quant à elle, dispose d’une industrie de défense performante, capable de concevoir et fabriquer des équipements militaires à haute valeur ajoutée. À côté de ces puissances, le Sénégal, novice dans le secteur, devra prouver sa capacité à rivaliser, d’autant que les composants critiques (moteurs, électronique) resteront largement importés.
L’investissement de 35 milliards de FCFA, bien que présenté comme stratégique, soulève des questions sur sa rentabilité. Aucune étude indépendante ne garantit que les retombées économiques (emplois, exportations) justifieront un tel engagement financier, surtout dans un contexte où le budget national est déjà sollicité par des priorités sociales urgentes (santé, éducation, eau potable). Par ailleurs, la production annuelle de 1 000 véhicules semble ambitieuse pour un marché local limité, et les débouchés à l’export restent incertains, faute de données concrètes sur la demande régionale.
Si l’usine permet un assemblage local, les technologies clés (moteurs, systèmes électroniques) continueront d’être importées, principalement de Corée du Sud et d’Allemagne. Cette dépendance aux fournisseurs étrangers limite la portée réelle de l’autonomie industrielle revendiquée. Sans maîtrise des chaînes de valeur critiques, ISEVEM risque de n’être qu’une unité de montage, sans véritable capacité d’innovation ou de conception locale.
Contrairement au Maroc ou à l’Afrique du Sud, qui ont su diversifier leurs partenariats et développer des niches technologiques, le Sénégal part de loin. Les pays voisins, comme le Mali ou le Nigeria, lancent également des projets similaires, avec le soutien de la Chine, de la Russie ou de la Turquie. Dans ce paysage concurrentiel, le Sénégal devra non seulement convaincre de la qualité de ses produits, mais aussi surmonter les barrières à l’entrée sur des marchés déjà saturés.
Les Forces armées sénégalaises, bien que modernes, n’ont pas les moyens d’absorber une production annuelle de 1 000 véhicules. Sans débouchés export garantis, l’usine pourrait rapidement tourner au ralenti, transformant un investissement public en charge financière.
Les centaines d’emplois promis (directs et indirects) sont louables, mais leur pérennité dépendra de la santé économique de l’usine. Or, sans exportations significatives, la viabilité à long terme est loin d’être assurée.
L’inauguration d’ISEVEM, en grande pompe et sous la présidence du chef de l’État, s’inscrit dans une logique de communication, visant à afficher une image de modernité et de souveraineté. Pourtant, les retombées concrètes pour la population (emplois stables, développement local) restent à démontrer.
Plusieurs pays africains ont tenté de développer une industrie militaire locale, avec des résultats mitigés. En Algérie, l’usine Fatia, lancée dans les années 2000 pour assembler des véhicules, a finalement été abandonnée faute de rentabilité et de maîtrise technologique. Au Nigeria, malgré des investissements massifs, la production locale d’équipements militaires peine à décoller, en raison de la dépendance aux importations et du manque de compétences techniques. Ces exemples montrent que la simple volonté politique ne suffit pas : il faut des partenariats technologiques solides, un marché porteur et une gestion rigoureuse des conditions que le Sénégal devra réunir pour éviter un échec similaire.
L’usine ISEVEM représente sans doute une étape symbolique pour le Sénégal, mais son succès économique et industriel est loin d’être garanti. Entre dépendance technologique, concurrence régionale et incertitudes financières, les risques sont réels. Plutôt que de s’enfermer dans un projet pharaonique aux retombées incertaines, les autorités gagneraient à privilégier des investissements plus ciblés, dans des secteurs à fort impact social et économique (agriculture, énergies renouvelables, santé). La souveraineté industrielle est un objectif louable, mais elle ne doit pas se faire au détriment des besoins immédiats de la population. À défaut, ISEVEM pourrait bien rester un symbole coûteux, plutôt qu’un véritable levier de développement.
Dans un contexte de ressources limitées, ne vaudrait-il pas mieux concentrer les efforts sur des industries créatrices de valeur ajoutée immédiate et accessible à tous les Sénégalais ?
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Pape Bodian.
Mis en ligne : 29/12/2025
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