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Lors du 19ᵉ Forum africain des systèmes alimentaires, le président Bassirou Diomaye Faye a appelé à « briser le mythe d’une agriculture de survie » et à mobiliser la jeunesse autour d’un projet agricole moderne, créateur d’emplois et moteur de développement. Si l’ambition est louable, la réalité du terrain invite à une lecture plus nuancée, voire critique. En effet, comment convaincre les jeunes Sénégalais de s’investir dans un secteur qui, malgré les discours, peine à offrir des revenus décents, une sécurité sociale et des perspectives d’avenir tangibles ? Entre vœux pieux et absence de plan crédible, l’agriculture reste, pour beaucoup, un secteur de dernier recours plutôt qu’un choix volontaire.
Le Sénégal compte une population majoritairement jeune, mais le chômage des 15-24 ans atteint des niveaux alarmants, surtout en milieu rural. Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), 42,7 % des jeunes ruraux ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation (NEET) au troisième trimestre 2024, contre 28,2 % en milieu. Le taux d’emploi en milieu rural (32,5 % au premier trimestre 2025) reste bien inférieur à celui des zones urbaines (45,6 %), et l’accès à un emploi salarié y est deux fois moins fréquentsenenews.com. Ces chiffres révèlent une désaffection croissante pour les métiers agricoles, perçus comme précaires et peu rémunérateurs.
Les revenus moyens des agriculteurs sénégalais illustrent cette précarité : le Salaire Minimum Agricole Garanti (SMAG) s’élève à 58 900 FCFA par mois (moins de 90 euros), un niveau à peine suffisant pour couvrir les besoins de base, sans parler d’épargne ou d’investissements. Dans ce contexte, l’exode rural et la recherche d’opportunités en ville ou à l’étranger s’imposent comme des échappatoires logiques.
Le président Diomaye Faye mise sur des coopératives agricoles, des politiques incitatives et un meilleur accès aux services sociaux pour rendre l’agriculture attractive. Pourtant, les initiatives existantes, comme le programme « Agri-Jeunes », bien que prometteuses, restent marginales : en 2024, seulement 37 jeunes agripreneurs ont pu commercialiser 1,6 million de plants pour un chiffre d’affaires de 124 millions de FCFA une goutte d’eau dans l’océan des besoins. Les obstacles structurels persistent : accès limité à la terre, au crédit, aux technologies, et absence de protection sociale.
Des pays comme le Rwanda et l’Éthiopie ont réussi à moderniser leur agriculture en combinant formation professionnelle, mécanisation et appui aux jeunes entrepreneurs. Le Rwanda, par exemple, a mis en place un réseau d’incubateurs d’agro-entreprises et vise une économie à revenu intermédiaire d’ici 2035, avec des résultats concrets en matière de création d’emplois et de réduction de la pauvreté. Au Sénégal, en revanche, les réformes annoncées (loi sylvopastorale, infrastructures de stockage) tardent à produire des effets visibles sur le terrain.
Avec un SMAG à 58 900 FCFA et des revenus souvent inférieurs, l’agriculture ne permet pas de vivre décemment, encore moins de fonder une famille ou de s’installer durablement. Les pertes post-récolte (jusqu’à 30 % de la production) et l’absence de chaînes de froid ou de routes praticables découragent les jeunes, qui préfèrent se tourner vers des secteurs plus stables.
Les appels à la mobilisation de la jeunesse sonnent creux sans feuille de route chiffrée, sans budgets dédiés et sans calendrier précis. Les 85 milliards de FCFA annoncés pour la campagne agricole 2024-2025 sont une avancée, mais leur traçabilité et leur impact réel restent à prouver.
La jeunesse rurale, confrontée à un chômage endémique et à l’absence de perspectives, quitte massivement les campagnes. Les programmes comme « Agri-Jeunes », bien que salutaires, ne suffisent pas à inverser la tendance.
Mobiliser la jeunesse autour de l’agriculture suppose de transformer en profondeur le secteur : revenus décents, accès au crédit et aux technologies, protection sociale, et surtout, une vision claire et partagée. Les modèles réussis en Afrique de l’Est montrent que c’est possible, à condition de passer des discours aux actes. En l’état, les annonces de Bassirou Diomaye Faye risquent de rester lettres mortes, et l’agriculture sénégalaise continuera d’être perçue comme un secteur de survie un mythe que les politiques publiques actuelles ne sont pas encore parvenues à briser.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Justin Diop.
Mis en ligne : 05/09/2025
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