Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »
Le Fonds monétaire international (FMI) a salué, dans une déclaration récente, les « progrès significatifs » du Sénégal dans la correction des erreurs de déclaration de sa dette publique et son engagement en faveur de la transparence. Kristalina Georgieva, sa directrice générale, a félicité Dakar pour sa coopération et sa volonté d’assainir les finances publiques, tout en annonçant des négociations pour un nouveau programme d’accompagnement. Mais derrière ce discours lénifiant se cache une réalité bien plus amère : le FMI, en exigeant un audit avant tout déblocage de fonds, joue un double jeu.
Il se présente en sauveur, tout en étant l’un des principaux responsables de la crise que traverse le pays. La question est simple : si le FMI refuse aujourd’hui de donner de l’argent au Sénégal, à qui la faute ? À un État qui a dissimulé la vérité sur sur ses comptes, ou à une institution qui a fermé les yeux pendant des années sur des pratiques opaques, avant de brandir la menace de la sanction ?
Dès leur arrivée au pouvoir en 2024, les nouvelles autorités sénégalaises ont découvert l’ampleur de la catastrophe financière laissée par l’ancienne administration. Un audit de la Cour des comptes a révélé que la dette publique, officiellement estimée à 74 % du PIB, atteignait en réalité près de 100 % fin 2023, puis 118,8 % fin 2024, faisant du Sénégal le pays le plus endetté d’Afrique. Pire, une « dette cachée » d’environ 7 milliards de dollars, contractée entre 2019 et 2024, a été délibérément dissimulée. Le FMI, qui avait validé pendant des années des chiffres sous-estimés, a suspendu en juin 2024 son programme de 1,8 milliard de dollars, invoquant des « fausses déclarations ». Pourtant, comment croire que l’institution n’avait rien vu ? Comment expliquer qu’elle ait continué à accorder des financements sans exiger de vérifications indépendantes ?
La réponse est évidente : le FMI a toujours su. Mais tant que les remboursements arrivaient, il fermait les yeux. Aujourd’hui, il utilise la crise pour imposer des réformes drastiques, sous couvert de « transparence » et de « stabilité macroéconomique ». Une stratégie classique, déjà observée ailleurs en Afrique, où le FMI agit moins comme un partenaire que comme un gendarme, prêt à punir les États quand ils ne jouent plus le jeu.
Le Sénégal n’est pas un cas isolé. En Afrique, les programmes du FMI sont souvent critiqués pour leur rôle dans l’aggravation de la pauvreté et de la dépendance. Les plans d’ajustement structurel, imposés depuis les années 1980, ont systématiquement conduit à des coupes dans les dépenses sociales, à la privatisation des services publics et à une précarisation accrue des populations. Au Ghana, en Côte d’Ivoire ou en Zambie, les mêmes recettes ont produit les mêmes résultats : une dette insoutenable, une croissance inégale, et des États affaiblis, incapables de définir leur propre politique économique.
Au Sénégal, la situation est encore plus cynique. Le FMI a attendu que la dette explose et que les marchés financiers sanctionnent le pays pour exiger des mesures correctrices. Pourtant, il était au courant : en 2023, il avait déjà estimé que la dette sénégalaise était bien plus élevée que déclarée, sans pour autant tirer la sonnette d’alarme. Aujourd’hui, il conditionne son aide à un audit exhaustif, à des réformes budgétaires douloureuses, et à une « centralisation de la gestion de la dette » comme si c’était aux victimes de payer pour les erreurs des bourreaux.
Les conséquences pour la population sont dramatiques : le service de la dette a bondi de 44,5 % en un an, étouffant les budgets de la santé, de l’éducation et des infrastructures. Les Sénégalais paient ainsi le prix d’une gestion opaque, mais aussi de la complicité d’une institution qui a préféré regarder ailleurs tant que ses intérêts étaient préservés.
Le FMI a validé pendant des années des données falsifiées. Son silence a permis à l’ancienne administration de creuser la dette sans contrôle. Aujourd’hui, il se présente en arbitre, alors qu’il est co-responsable de la crise.
Les réformes exigées réduction des dépenses publiques, augmentation des recettes fiscales, privatisations risquent d’aggraver les inégalités et de plonger des millions de Sénégalais dans la précarité. Comme au Ghana ou en Argentine, ces mesures ont historiquement creusé les écarts de richesse et affaibli les États.
Le FMI est-il aussi exigeant avec les pays occidentaux ? Quand la Grèce ou l’Italie manipulent leurs comptes, les sanctions sont bien moins sévères. En Afrique, en revanche, la moindre erreur devient un prétexte pour imposer des plans d’austérité.
Kristalina Georgieva parle de « croissance inclusive », mais les faits contredisent ses mots. Au Sénégal, la croissance hors hydrocarbures stagne à 3,1 %, tandis que la dette explose. Le boom pétrolier et gazier, présenté comme une solution, ne profite qu’à une minorité et expose le pays aux chocs extérieurs.
Le Sénégal est aujourd’hui pris entre deux feux : d’un côté, une dette insoutenable, héritée d’années de mauvaise gestion et de complicité internationale ; de l’autre, un FMI qui utilise la crise pour imposer des réformes libérales, au mépris des besoins sociaux. La « transparence » réclamée par le FMI n’est qu’un alibi pour justifier son ingérence et son contrôle sur l’économie sénégalaise.
La vraie question n’est pas de savoir si le Sénégal mérite l’aide du FMI, mais si le FMI mérite la confiance du Sénégal. Tant que cette institution continuera à agir comme un créancier, plutôt que comme un partenaire, les crises se répéteront. Pour sortir de ce piège, le Sénégal doit exiger une renégociation souveraine de sa dette, sans les conditionnalités mortifères du FMI. Et surtout, il doit refuser de laisser une institution, complice de la crise, dicter son avenir.
La balle est dans le camp des autorités sénégalaises : accepteront-elles de jouer le jeu du FMI, ou oseront-elles rompre avec un modèle qui a échoué partout en Afrique ? La réponse déterminera l’avenir de millions de citoyens.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Adama Diouf.
Mis en ligne : 08/10/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.





