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L’agence Moody’s vient, pour la troisième fois en un an, de dégrader la note souveraine du Sénégal, la faisant passer de B3 à Caa1, soit la dernière classe avant le défaut de paiement. Cette décision, loin d’être anodine, reflète une crise de confiance profonde envers la gouvernance actuelle. El Hadji Ibrahima Sall, ancien ministre sous Abdou Diouf, y voit un « signal d’alerte inquiétant » et dénonce l’absence de « discipline budgétaire exemplaire, de transparence accrue et de dialogue sincère avec les investisseurs ». Pourtant, au lieu de reconnaître ses responsabilités, le gouvernement sénégalais dénonce une analyse « spéculative, subjective et biaisée ».
Mais derrière les communiqués indignés, une réalité s’impose : le Sénégal, comme trop de pays africains, paie le prix d’un leadership inexpérimenté et d’une gestion hasardeuse des affaires publiques. Osons le dire : confier la direction d’un État sous-développé à des apprentis, jamais éprouvés dans la gestion rigoureuse d’un service administratif, relève de l’inconséquence. La démocratie, aussi noble soit-elle, ne garantit pas la compétence. L’histoire nous le rappelle cruellement, de l’Allemagne des années 1930 à l’Afrique contemporaine.
La note Caa1 place le Sénégal dans une zone à haut risque, synonyme de coûts d’emprunt exorbitants et de méfiance des marchés. Les besoins de financement bruts du pays sont estimés à 26 % du PIB pour 2025-2026, tandis que le service de la dette avale déjà 27 % des recettes publiques. Moody’s anticipe même une possible restructuration de la dette, un scénario catastrophe pour un pays déjà asphyxié par un déficit budgétaire de 14 % et une dette publique à 119 % du PIB. Pire, cette dégradation intervient alors que le gouvernement brandit des engagements d’investissement de 13 000 milliards de FCFA, comme si les promesses pouvaient se substituer à la rigueur budgétaire. Les exemples du Gabon et du Niger, récemment dégradés pour des raisons similaires (détérioration budgétaire, liquidités asséchées, gouvernance défaillante), montrent que cette spirale est difficile à inverser.
Le Sénégal n’est pas en défaut de paiement, mais sa trajectoire rappelle celle des pays déjà en crise. Comme le souligne le banquier Madana Kane, une note dégradée signifie « emprunter plus cher », dans un contexte où le service de la dette étouffe déjà l’économie. Le Plan de Redressement Économique et Social (PRES), censé sauver la situation, repose à 90 % sur des ressources internes… dont personne ne sait vraiment d’où elles viendront. Les réformes fiscales et les audits annoncés peinent à convaincre, tant les insuffisances de transparence et les retards dans les négociations avec le FMI alimentent les doutes. Le gouvernement mise sur des « succès » de levées de fonds locales, mais ces expédients ne suffiront pas à restaurer la confiance internationale.
L’Afrique regorge d’exemples édifiants. Au Gabon, la dégradation à Caa1 a précédé des retards de paiement récurrents et une crise de liquidités. En Côte d’Ivoire, en revanche, une gouvernance plus rigoureuse a permis une amélioration de la note, grâce à des investissements massifs dans les infrastructures et une discipline budgétaire réellement appliquée. La différence ? Des dirigeants qui savent gérer. Au Sénégal, l’actuel exécutif semble croire que la rhétorique suffira. Pourtant, comme le rappelle le Pr Abou Kane, « on ne peut plus prendre les escaliers, il faut l’ascenseur » c’est-à-dire des mesures non conventionnelles et une rupture avec l’amateurisme.
La mauvaise gouvernance n’est pas une fatalité, mais un choix. Les régimes néopatrimoniaux, où les dirigeants confondent bien public et intérêts privés, ont plongé des pays comme le Zaïre de Mobutu ou le Nigeria des années 1980 dans le chaos. Aujourd’hui, le Sénégal reproduit les mêmes erreurs : clientélisme, gabegie, et une administration publique jamais vraiment réformée depuis l’indépendance. Pire, l’absence de culture démocratique solide permet à des dirigeants sans expérience de s’accrocher au pouvoir, comme au Cameroun ou en Guinée équatoriale, où le pouvoir se transmet de père en fils. La démocratie, quand elle se réduit à des élections sans accountability, devient un leurre.
Certains pays, comme le Rwanda ou le Botswana, ont su tirer leur épingle du jeu grâce à des leaders visionnaires et une administration compétente. D’autres, comme le Ghana sous Rawlings ou le Mali sous Amadou Toumani Touré, ont connu des sursauts grâce à des dirigeants rompus à la gestion publique. À l’inverse, les États fragiles et ils sont légion en Afrique s’enfoncent dans la crise parce que leurs élites préfèrent les slogans aux réformes structurelles. Le Sénégal, avec son potentiel économique et humain, n’a aucune excuse pour rejoindre ce club.
La dégradation par Moody’s n’est pas une malédiction, mais le symptôme d’un mal plus profond : l’incapie de dirigeants jamais préparés à gérer un État moderne. La démocratie ne se résume pas à des urnes ; elle exige des dirigeants compétents, capables de rendre des comptes. Les Sénégalais, comme tous les Africains, méritent mieux que des apprentis sorciers. La marche est haute, mais elle n’est pas infranchissable à condition de cesser de jouer avec l’État. La vérité, c’est que le bout du tunnel reste loin, et que seul un sursaut citoyen pourra éviter le pire. Osons donc le dire : l’heure n’est plus aux excuses, mais à l’action. Et si rien ne change, l’histoire jugera sévèrement ceux qui, par négligence ou incompétence, auront hypothéqué l’avenir d’un pays entier.
Cette analyse rejoint les constats de la Banque africaine de développement et du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, qui soulignent depuis des années le lien entre mauvaise gouvernance et sous-développement. Le Sénégal a encore les moyens d’éviter le scénario catastrophe, mais il lui faut d’urgence des dirigeants à la hauteur ou accepter de payer le prix de son aveuglement. La balle est dans le camp des citoyens.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Papa Alé.
Mis en ligne : 17/10/2025
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