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Woodside, l’opérateur australien du champ pétrolier de Sangomar, a récemment annoncé des résultats exceptionnels pour le troisième trimestre 2025 : 1,468 milliard de dollars générés en neuf mois, soit plus du triple des revenus enregistrés à la même période en 2024. Avec une production de 99 000 barils par jour et un taux de fiabilité de 98,2 %, la compagnie se félicite de ses performances. Pourtant, derrière ces chiffres mirobolants, une question persiste : où est la part du Sénégal ? Malgré des recettes pétrolières en forte hausse, le pays peine à traduire cette manne en développement tangible pour sa population.
Les services publics restent sous-financés, les emplois locaux se font rares, et les PME sénégalaises sont largement exclues des retombées économiques. Le pétrole, censé être une bénédiction, risque de devenir un mirage pour le Sénégal.
Le Sénégal est entré dans l’ère pétrolière avec l’exploitation du gisement de Sangomar en 2024. Woodside détient 82 % des parts du projet, contre seulement 18 % pour la société nationale Petrosen. Les revenus générés par le pétrole sont impressionnants sur le papier, mais leur répartition et leur impact réel sur l’économie locale soulèvent des interrogations légitimes. Alors que le pays fait face à une tension budgétaire persistante, les attentes sont grandes : le pétrole doit-il servir à rembourser les coûts d’exploration et de développement (« cost oil »), ou bien à financer des projets sociaux, des infrastructures et des emplois pour les Sénégalais ?
Les chiffres officiels montrent que, malgré des recettes globales de près d’un milliard de dollars pour le seul premier semestre 2025, la part réellement perçue par l’État sénégalais reste faible. Après déduction des coûts d’exploitation, des royalties et des parts des partenaires privés, le revenu net pour le Sénégal est bien inférieur aux montants annoncés. Par exemple, entre juin et septembre 2024, les ventes de brut ont rapporté 595 milliards de francs CFA, mais l’État n’a perçu que 8 % de ce montant en redevances, soit environ 48 milliards de francs CFA. Le reste est principalement alloué au remboursement des investissements de Woodside et à ses profits.
Le projet Sangomar a généré environ 4 400 emplois pendant la phase de construction, mais la majorité des postes qualifiés sont occupés par des expatriés. Les PME locales, malgré les discours sur le « contenu local », peinent à obtenir des contrats significatifs, faute de certifications internationales coûteuses et de capacités techniques suffisantes. Les opportunités promises se heurtent à une réalité : les sous-traitants étrangers dominent la chaîne de valeur, et les Sénégalais restent cantonnés à des emplois peu qualifiés ou temporaires.
Le budget national 2025, évalué à 6 395 milliards de francs CFA, consacre 34,5 % des dépenses aux secteurs sociaux (santé, éducation, infrastructures). Pourtant, ces enveloppes restent insuffisantes face aux besoins croissants. Le secteur de la santé, par exemple, ne bénéficie que de 5,7 % des dépenses du premier trimestre 2025, soit moins de 20 milliards de francs CFA, alors que les remboursements de la dette et les dépenses de personnel absorbent une part croissante des ressources. Malgré les recettes pétrolières, le déficit budgétaire atteint 7,08 % du PIB, et les investissements publics stagnent.
L’histoire de l’Afrique regorge d’exemples de pays producteurs de pétrole où la manne pétrolière n’a pas profité à la population. Le Nigeria, premier producteur africain, a reçu plus de 300 milliards de dollars de revenus pétroliers en 25 ans, sans que cela ne se traduise par une amélioration significative du niveau de vie. Au contraire, la corruption, les inégalités et les conflits se sont aggravés. L’Angola, quant à lui, a vu 25 % de ses revenus pétroliers disparaître sans trace dans les comptes nationaux. Le Sénégal, s’il ne met pas en place des mécanismes de transparence et de redistribution équitable, pourrait suivre la même voie.
Le pétrole de Sangomar représente une opportunité historique pour le Sénégal, mais les signes actuels sont inquiétants. Les revenus générés profitent davantage à Woodside et à ses actionnaires qu’à l’économie locale. Pour éviter que le pétrole ne devienne une malédiction, le gouvernement doit renégocier les contrats, renforcer le contenu local, et garantir que les recettes pétrolières financent des projets durables : santé, éducation, infrastructures, et création d’emplois pour les jeunes. Sans ces réformes, le Sénégal risque de voir ses ressources naturelles s’épuiser sans jamais en tirer les bénéfices escomptés.
La question n’est plus de savoir si le pétrole peut transformer le Sénégal, mais comment éviter qu’il ne devienne un nouveau cas d’école de la malédiction des ressources. Le temps est venu d’agir, avant qu’il ne soit trop tard.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Jules Sané.
Mis en ligne : 30/10/2025
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