Commission de la CEDEAO : Un Sénégal fragilisé aux commandes - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Politique | Par Eva | Publié le 29/12/2025 12:12:00

Commission de la CEDEAO : Un Sénégal fragilisé aux commandes

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Réunis récemment à Abuja, les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont confié au Sénégal la direction de la Commission pour la période 2026-2030. Présentée comme un « succès diplomatique majeur » et une « première historique » par les autorités sénégalaises, cette nomination mérite un examen critique. En effet, derrière les déclarations triomphales se cachent des réalités troublantes : un Sénégal fragilisé par des crises politiques internes, un bilan régional mitigé, et une CEDEAO en pleine tourmente. Loins d’être une solution, cette désignation pourrait bien s’avérer un fardeau de plus pour une organisation déjà à la dérive.

L’Afrique de l’Ouest traverse une période de profondes turbulences. Les coups d’État se multiplient (Mali, Burkina Faso, Niger, Guinée), la menace terroriste s’étend, et les tensions entre États membres n’ont jamais été aussi vives. La CEDEAO, censée incarner la stabilité et l’intégration, peine à imposer son autorité. Le retrait récent du Mali, du Niger et du Burkina Faso de l’organisation, pour former l’Alliance des États du Sahel (AES), illustre l’échec de la CEDEAO à gérer les crises sécuritaires et politiques. Dans ce contexte, la nomination du Sénégal à la tête de la Commission soulève une question cruciale : ce pays, souvent présenté comme un modèle de démocratie en Afrique, est-il vraiment armé pour relever les défis colossaux qui attendent la région ?

Le Sénégal, malgré sa réputation de stabilité relative, n’est pas épargné par les crises. Les années 2023 et 2024 ont été marquées par des violences politiques sans précédent : manifestations réprimées dans le sang, arrestations arbitraires, dissolution du principal parti d’opposition (PASTEF), et report controversé de l’élection présidentielle. Ces événements ont ébranlé la crédibilité démocratique du pays et révélé des fractures profondes au sein de la société sénégalaise. Comment un État en proie à de telles tensions internes pourrait-il prétendre incarner l’unité et la paix régionales ?

Par ailleurs, l’échec cuisant du Sénégal à obtenir la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) en 2024, malgré un soutien affiché de la région, a mis en lumière les limites de son influence diplomatique. Le candidat sénégalais, Amadou Hott, a été battu par le Mauritanien Sidi Ould Tah, révélant un manque de consensus autour de Dakar sur la scène continentale. Cet échec devrait interroger : si le Sénégal ne parvient pas à convaincre ses partenaires sur un dossier économique, comment pourra-t-il les rallier autour d’une vision commune pour la CEDEAO, surtout dans un contexte aussi polarisé ?

La CEDEAO a besoin d’un leadership capable de gérer les crises sécuritaires qui ravagent le Sahel. Or, le Sénégal n’a pas de bilan probant sur ce front. Son rôle dans la médiation avec les pays de l’AES reste timide et peu concluant. Pire, Dakar a souvent privilégié une diplomatie de compromis, évitant de froisser les juntes militaires au pouvoir dans la région. Cette posture, perçue comme une faiblesse, risque d’affaiblir encore davantage la crédibilité de la CEDEAO face aux défis sécuritaires. Les régimes de Bamako, Ouagadougou et Niamey ont clairement exprimé leur méfiance envers l’organisation, qu’ils accusent de servir des intérêts étrangers. Le Sénégal, en adoptant une approche pragmatique et bilatérale, a certes évité une rupture totale, mais il n’a pas su proposer de solutions concrètes pour ramener ces pays dans le giron communautaire bbc.com+2.

La désignation du Sénégal ressemble davantage à une récompense diplomatique qu’à une véritable stratégie pour relancer la CEDEAO. Dans un contexte où l’organisation est contestée de toutes parts, cette nomination pourrait être interprétée comme un aveu d’impuissance. Plutôt que de s’attaquer aux causes profondes des crises (instabilité politique, terrorisme, pauvreté), les dirigeants ouest-africains semblent préférer une solution de façade, en confiant les rênes à un pays dont la légitimité est elle-même contestée.

Les crises politiques récentes ont révélé une démocratie sénégalaise bien plus fragile qu’on ne le pensait. La répression des manifestations, les atteintes aux libertés, et les querelles institutionnelles ont entaché l’image du pays. Comment un État en pleine recomposition interne pourrait-il prétendre guider une région en proie au chaos ? La priorité du Sénégal devrait être de restaurer sa propre stabilité, plutôt que de s’engager dans une aventure régionale risquée.

L’histoire récente de la CEDEAO montre que les présidences tournantes n’ont pas toujours permis de surmonter les crises. L’échec de l’organisation à prévenir les coups d’État au Mali, en Guinée ou au Burkina Faso, malgré ses mécanismes d’alerte précoce, est révélateur. De même, son incapacité à imposer des sanctions efficaces contre les juntes militaires a affaibli son autorité. Dans ce contexte, la nomination du Sénégal, aussi symbolique soit-elle, ne changera rien à la donne si les États membres ne s’engagent pas dans une réforme profonde de l’organisation.

La nomination du Sénégal à la tête de la CEDEAO est un pari risqué. Non seulement le pays n’a pas les moyens de ses ambitions, mais cette désignation pourrait aggraver les divisions au sein de l’organisation. Plutôt que de se contenter de symboles, la CEDEAO aurait besoin d’un leadership fort, capable de proposer des solutions concrètes aux crises sécuritaires et politiques qui la minent. Le Sénégal, en proie à ses propres contradictions, n’est pas ce leader.

Il faut cesser les illusions. La CEDEAO ne se relèvera pas par des nominations symboliques, mais par une refonte ambitieuse de ses mécanismes de gouvernance et de sécurité. Les États membres doivent cesser de se voiler la face et engager une réflexion profonde sur l’avenir de l’organisation. Sinon, la CEDEAO risque de devenir une coquille vide, incapable de protéger les intérêts des peuples ouest-africains. Le Sénégal, plutôt que de se perdre dans des ambitions régionales prématurées, ferait mieux de se concentrer sur la consolidation de sa propre démocratie. La stabilité de l’Afrique de l’Ouest en dépend.

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Elisabeth T.
Mis en ligne : 29/12/2025

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