Le vent du changement souffle décidément fort sur le paysage politique sénégalais. Alors que l’ancien président Macky Sall fait l’objet d’une proposition de mise en accusation, cinq de ses anciens ministres sont désormais dans la ligne de mire de la justice. C’est ce qu’a annoncé, jeudi, le procureur général près la Cour d’appel de Dakar, Mbacké Fall, lors d’un point de presse très attendu.
Ces anciens membres du gouvernement sont soupçonnés de « graves charges de prévarication » dans la gestion des fonds mobilisés durant la pandémie de Covid-19. Leurs dossiers ont été transmis à la Commission d’instruction de l’Assemblée nationale, en vue d’une éventuelle comparution devant la Haute cour de justice, juridiction d’exception habilitée à juger les plus hauts responsables de l’État.
Sans divulguer les noms des personnes visées, le procureur a donné de précieux indices. Les ministères concernés par les enquêtes sont ceux des Mines, de la Culture, de la Jeunesse, des Sports, de la Santé, de la Femme, de l’Industrie et des PME, ainsi que celui du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale. Toutefois, seuls les dossiers de cinq ministres ont été à ce jour formellement transmis à l’Assemblée. Et le travail d’investigation se poursuit. « D’autres ministres pourraient être poursuivis », a averti M. Fall.
Deux anciens ministres sont d’ores et déjà dans le collimateur de la justice : Mansour Faye, beau-frère de Macky Sall, s’est vu notifier une interdiction de sortie du territoire. Moustapha Diop, député et ancien ministre, a quant à lui perdu son immunité parlementaire il y a plusieurs semaines. Il est également cité dans une autre affaire, celle dite de la « Tabaski Ngom ».
S’agissant des trois autres ministres concernés, le flou demeure. Néanmoins, plusieurs anciens titulaires des portefeuilles de la Santé, des Sports, de la Culture, et de la Femme sont cités dans les milieux judiciaires. Leurs directeurs de l’Administration générale et de l’équipement (DAGE), souvent chargés des finances, font actuellement l’objet de poursuites pour des détournements présumés. Certains ont été placés sous contrôle judiciaire après avoir versé plusieurs dizaines de millions de francs CFA dans le cadre de leur libération provisoire.
Dans ce contexte explosif, le député Guy Marius Sagna a ravivé les débats en déposant une proposition de mise en accusation contre l’ancien président Macky Sall. Une démarche inédite, qui relance la question de la reddition des comptes au sommet de l’État. Si la proposition est adoptée, elle pourrait ouvrir la voie à un procès historique devant la Haute cour de justice.
Instaurée par la loi organique n°2002-10 du 22 février 2002, la Haute cour de justice ne siège qu’à titre exceptionnel. Elle est composée de députés élus par leurs pairs et présidée par le premier président de la Cour suprême, Mahamadou Mansour Mbaye. Elle a compétence pour juger le chef de l’État en cas de haute trahison, ainsi que les membres du gouvernement pour des crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Depuis l’indépendance, cette cour n’a été convoquée qu’une seule fois : en 1963, pour le procès retentissant de Mamadou Dia, alors Premier ministre, accusé de tentative de coup d’État contre le président Léopold Sédar Senghor. Un épisode fondateur de la justice politique sénégalaise, dont le souvenir semble aujourd’hui ressurgir.
En 2005, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck fut à son tour visé par la Haute cour, mais la procédure fut abandonnée, faute de charges suffisantes. Reste à savoir si l’histoire se répétera, ou si cette fois, l’institution retrouvera pleinement son rôle.
Alors que les regards sont braqués sur l’Assemblée nationale, qui devra se prononcer sur d’éventuelles poursuites, cette série de révélations marque un tournant dans la gestion post-régime Sall. Le pouvoir actuel semble déterminé à aller jusqu’au bout de la logique de transparence et de reddition des comptes, quitte à heurter certains symboles de l’ancien pouvoir. Un bras de fer judiciaire et politique s’ouvre, sous les yeux d’une opinion publique avide de vérité.
Article écrit par : Maimouna Ngaido
Mis en ligne : 18/04/2025
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