Le Kankourang bascule dans la terreur : Violences à Mbour - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Fait divers | Par Eva | Publié le 14/09/2025 11:09:45

Le Kankourang bascule dans la terreur : Violences à Mbour

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Chaque année, la sortie du Kankourang, figure emblématique de la culture mandingue, est censée incarner la protection et l’ordre. Pourtant, les faits récents à Mbour et dans d’autres localités du Sénégal peignent un tout autre tableau : coups de machette, agressions gratuites, et une population vivant dans la peur. Un enseignant agressé devant chez lui, des jeunes semant le chaos, des véhicules vandalisés, ces scènes ne sont plus des exceptions, mais la norme.

Si le Kankourang a été inscrit par l’UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, ses dérives actuelles posent une question urgente : jusqu’où peut-on tolérer la violence au nom de la tradition ? Ces excès ne sont pas des accidents, mais le symptôme d’un repli identitaire dangereux, où la glorification du passé prime sur la sécurité et la raison.

Le Kankourang, à l’origine, était un rituel d’initiation destiné à encadrer les jeunes circoncis et à renforcer la cohésion sociale. Reconnue par l’UNESCO en 2005, cette pratique est aujourd’hui défigurée par des actes de brutalité répétée. À Mbour, Ziguinchor, Kolda, les témoignages se multiplient : des citoyens blessés, des biens détruits, des rues transformées en zones de non-droit. Les Kankourangs et leurs accompagnateurs, souvent des jeunes armés de coupe-coupe et de gourdins, imposent leur loi par la terreur, sous prétexte de perpétuer une tradition sacrée.

Pourtant, ces agressions n’ont rien à voir avec l’esprit originel du rituel, mais reflètent plutôt une instrumentalisation de la culture à des fins de pouvoir et de contrôle social.

Les coups de machette infligés à des innocents ne sont pas des incidents isolés. Ils révèlent une glorification de la force brute, où le masque du Kankourang sert de paravent à des règlements de comptes et à des démonstrations de domination. À Kolda, des jeunes enivrés ont cassé des vitres de voitures et perturbé la quiétude publique, tandis qu’à Mbour, des quartiers entiers vivent dans l’angoisse à l’approche des célébrations.

Ces dérives ne sont pas nouvelles : chaque année, les mêmes scènes se répètent, avec une intensité croissante. Le pire ? L’inaction des autorités, qui, par crainte de froisser les sensibilités culturelles, ferment les yeux sur ces excès. Pourtant, des mesures fortes sont possibles, comme l’ont montré certaines décisions locales d’encadrement temporaire de la pratique.

Premièrement, ces violences ne sont pas des « accidents », mais le résultat d’une banalisation de l’agressivité sous couvert de tradition. Les jeunes, souvent en quête de reconnaissance, y voient un moyen d’imposer leur autorité, sans craindre de sanctions. Deuxièmement, le Kankourang est de plus en plus instrumentalisé, que ce soit par des groupes locaux pour asseoir leur pouvoir, ou par des acteurs politiques et religieux pour maintenir un ordre social fondé sur la peur.

Enfin, cette situation illustre un repli identitaire dangereux : plutôt que de s’adapter aux exigences de la modernité, certaines franges de la société sénégalaise préfèrent se réfugier dans une vision idéalisée du passé, au mépris des droits fondamentaux des citoyens.

D’autres traditions africaines ont su évoluer pour concilier héritage et respect des droits humains. Au Mali, certaines pratiques initiatiques ont été réformées pour éliminer les violences physiques. En Afrique du Sud, des rituels de passage ont été encadrés pour éviter les abus. Pourquoi le Sénégal ne pourrait-il pas faire de même ? La réponse tient souvent à un manque de volonté politique et à la peur de remettre en cause un patrimoine sacralisé. Il est pourtant possible, et nécessaire, de trouver un équilibre entre préservation culturelle et protection des individus.

Le Kankourang ne doit pas devenir le symbole d’une société qui sacrifie la sécurité de ses citoyens sur l’autel de la tradition. Il faut que l’État sénégalais prenne ses responsabilités : encadrer strictement ces célébrations, sanctionner les auteurs de violences, et engager un dialogue avec les communautés pour réformer ces pratiques. La culture ne peut être une excuse pour l’impunité. Le Sénégal mérite mieux qu’un héritage détourné en instrument de terreur. La balle est dans le camp des autorités : soit elles agissent, soit elles acceptent de voir leur pays reculer vers l’obscurantisme.

Il ne s’agit pas d’abolir le Kankourang, mais de le réinventer. Les communautés mandingues elles-mêmes appellent à des « Assises » pour repenser ce rituel. Écoutons-les. Protégeons les victimes. Et rappelons à tous que aucune tradition ne vaut le prix du sang versé. Le Sénégal a le devoir de montrer que la culture et la raison peuvent et doivent coexister.

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Rokhaya Dabo.
Mis en ligne : 12/09/2025

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