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Le samedi 13 septembre 2025, un motocycliste, surnommé « Jakartaman », perdait la vie dans une collision avec un minibus AFTU à Rufisque. Le préfet a présenté ses condoléances, condamné les violences qui ont suivi, et promis que la justice ferait la lumière sur les circonstances du drame. Pourtant, derrière ce communiqué de rigueur se cache une réalité bien plus sombre : celle d’un État dont l’inaction chronique a créé les conditions d’une explosion de colère prévisible.
Les émeutes qui ont saccagé douze véhicules ne sont pas un hasard, mais le symptôme d’années de négligence, d’impunité et de mépris pour les citoyens les plus vulnérables. Il est temps de cesser de s’indigner après coup et de reconnaître que ce drame est le fruit d’un système défaillant.
Les accidents impliquant les « Jakartamen » et les minibus AFTU ne sont pas rares au Sénégal. Ils sont le résultat d’un système de transport public déstructuré, où la régulation brille par son absence et où les usagers paient le prix fort. À Rufisque, comme dans d’autres villes du pays, les routes sont souvent en mauvais état, les contrôles techniques des véhicules aléatoires, et les formations des conducteurs insuffisantes. Pire, les tensions entre acteurs informels (les motos-taxis) et formels (les transporteurs en commun) sont laissées sans réponse par les pouvoirs publics. Dans ce contexte, chaque accident devient une étincelle dans un baril de poudre social.
Les citoyens, excédés par l’absence de solutions, finissent par perdre foi dans les institutions. Quand la justice tarde à rendre des comptes, quand les promesses de réforme restent lettres mortes, la frustration se mue en rage. Les émeutes de Rufisque ne sont donc pas une réaction isolée, mais l’aboutissement logique d’un cycle de désengagement étatique. Combien de drames similaires ont été oubliés ? Combien de familles ont attendu en vain que la lumière soit faite ? La réponse est simple : trop.
L’argument selon lequel les émeutiers « compromettent l’intérêt général » est un leurre. En réalité, c’est l’État qui, par son inaction, a compromis cet intérêt général bien avant que les premiers véhicules ne soient incendiés. Les citoyens qui ont saccagé les minibus AFTU ont choisi des moyens illégitimes, certes, mais leur colère est légitime. Elle est celle de ceux qui, chaque jour, risquent leur vie dans des transports surchargés et dangereux, et qui voient leurs doléances ignorées.
Le cycle de l’impunité est bien connu : un accident survient, les autorités promettent une enquête, puis tout rentre dans l’ordre… jusqu’au prochain drame. La justice sénégalaise, souvent lente et opaque, peine à rétablir la confiance. Les transporteurs, qu’ils soient formels ou informels, opèrent trop souvent en dehors de tout cadre strict, protégés par des réseaux clientélistes qui rendent toute sanction improbable. Comment, dans ces conditions, croire en la parole publique ?
Les « Jakartamen », ces motocyclistes omniprésents, symbolisent à la fois la débrouille et l’échec des politiques de mobilité. Leur prolifération est la conséquence directe de l’incapacité de l’État à offrir des alternatives sûres et abordables. Plutôt que de réguler ce secteur, les autorités préfèrent fermer les yeux, laissant les citoyens se débattre dans un système où chacun est livré à lui-même.
Au Rwanda, la réduction drastique des accidents routiers a été possible grâce à une politique volontariste : contrôles stricts, sanctions exemplaires, et investissements massifs dans les infrastructures. Au Maroc, la modernisation des transports publics a permis de limiter les tensions entre usagers et professionnels. Au Sénégal, en revanche, les demi-mesures et les annonces creuses ont laissé le champ libre à l’anarchie.
Le drame de Rufisque rappelle étrangement les émeutes de 2021 à Thiès, après la mort d’un élève renversé par un car rapide. À l’époque, comme aujourd’hui, les autorités avaient condamné les violences… sans jamais s’attaquer aux causes profondes. Le résultat ? Une répétition tragique de l’histoire, avec les mêmes scènes de désolation et les mêmes discours impuissants.
Il est facile de condamner les émeutiers. Il est plus difficile de reconnaître que leur désespoir est le miroir de notre échec collectif. Plutôt que de se contenter de communiqués, l’État doit agir, et vite. Cela passe par une refonte complète du système de transport, avec des contrôles rigoureux, des sanctions effectives, et des investissements ciblés dans les infrastructures. Il faut aussi briser les réseaux de clientélisme qui protègent les transporteurs indélicats, et rétablir la confiance dans la justice en accélérant les enquêtes et en rendant des comptes.
Les citoyens de Rufisque, comme ceux du reste du pays, méritent mieux que des condoléances et des promesses. Ils méritent des actes. Sinon, la prochaine fois, la colère sera encore plus violente, et les conséquences encore plus lourdes. La balle est dans le camp des autorités : soit elles prennent enfin leurs responsabilités, soit elles acceptent d’être complices des prochains drames.
Les émeutes de Rufisque sont un signal d’alarme. Elles montrent que la patience des Sénégalais a des limites, et que l’impunité finira toujours par se retourner contre ceux qui la tolèrent. La vraie question n’est pas de savoir comment punir ceux qui ont saccagé des véhicules, mais comment éviter que de tels drames ne se reproduisent. Tant que l’État continuera à négliger ses devoirs, les rues resteront un champ de bataille, et la douleur des familles se transformera inévitablement en révolte. Il est encore temps d’agir. Mais pour cela, il faut d’abord cesser de se voiler la face.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mamadou Sy.
Mis en ligne : 22/09/2025
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