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Lors du forum « Invest in Senegal » tenu les 7 et 8 octobre 2025 à Diamniadio, le gouvernement sénégalais a réaffirmé sa volonté de faire du pays un hub d’investissement et d’innovation en Afrique de l’Ouest. Pourtant, derrière les discours enthousiastes, une réalité plus sombre se dessine : la hausse rapide et indifférenciée des charges fiscales, notamment sur les produits du tabac, menace de freiner l’innovation et de reproduire les erreurs du passé. En taxant à 100 % les droits d’accise sur le tabac, sans distinguer les produits conventionnels des alternatives à risque réduit, le Sénégal risque non seulement de décourager les investisseurs, mais aussi d’étouffer dans l’œuf des secteurs porteurs d’avenir.
Une fiscalité mal pensée, trop lourde et imprévisible, a déjà fait ses preuves ailleurs en Afrique et dans le monde : celles d’un frein au développement industriel et d’un accélérateur de déclin économique.
Le Sénégal se positionne aujourd’hui comme le pays le plus taxé de la région en matière de tabac, avec des droits d’accise bien supérieurs à ceux de la Côte d’Ivoire (70 %), du Mali (37 %), ou encore du Burkina Faso (55 %). Si l’objectif affiché est double accroître les recettes de l’État et améliorer la santé publique, la méthode choisie ignore les leçons des échecs passés. En effet, l’histoire économique africaine regorge d’exemples où des politiques fiscales rigides ont asphyxié des industries prometteuses, du textile aux technologies vertes, au lieu de les accompagner vers la modernisation.
Dans les années 1960-1990, plusieurs pays africains, comme le Sénégal, le Maroc ou Maurice, ont vu leur secteur textile s’effondrer sous le poids de taxes mal adaptées et d’une protectionnisme inefficace. Selon une étude publiée par Cairn.info, près de 80 % de la valeur ajoutée manufacturière africaine repose encore sur des technologies simples ou des ressources naturelles, faute d’avoir su moderniser leur base industrielle. Le textile, autrefois fleurissant, a été balayé par la concurrence asiatique, en partie à cause d’une fiscalité qui n’a pas su évoluer avec les réalités du marché et les besoins en innovation. Aujourd’hui, le secteur du tabac et ses alternatives technologiques risquent de subir le même sort.
L’exemple du tabac est révélateur : en taxant de manière uniforme cigarettes classiques et produits à risque réduit, l’État sénégalais ignore les avancées technologiques et les opportunités industrielles qu’elles représentent. Pourtant, des pays comme le Royaume-Uni ou la Suède ont montré qu’une fiscalité différenciée, adaptée au niveau de risque des produits, pouvait à la fois réduire la consommation de tabac et encourager l’innovation. En Suède, la prévalence tabagique est la plus faible d’Europe (10 %), grâce à une approche qui favorise les alternatives moins nocives, comme le snus. Le Royaume-Uni, quant à lui, a mis en place une « risk-based taxation », incitant les fumeurs à opter pour des produits moins dangereux, tout en stimulant la recherche et le développement dans ce secteur.
La hausse brutale des taxes sur le tabac au Sénégal soulève une question inquiétante : quel secteur sera le prochain ? Les technologies vertes, les énergies renouvelables, ou encore les start-ups numériques pourraient demain être la cible de mesures fiscales arbitraires, au nom de la rigueur budgétaire. Or, une fiscalité trop lourde et imprévisible décourage l’investissement, favorise le marché informel, et pousse les entreprises vers des cieux plus cléments. Le risque est double : non seulement le Sénégal pourrait perdre des emplois qualifiés et des compétences, mais il se priverait aussi des retombées économiques et sanitaires liées à l’innovation.
De plus, une taxation excessive sans différenciation encourage la contrebande et le commerce illicite, comme l’ont montré les expériences du Togo et du Bénin, où les industriels du tabac ont eux-mêmes alerté sur le manque à gagner pour les États africains en raison de la recrudescence de la contrebande. En taxant sans discernement, le Sénégal risque donc de voir ses recettes fiscales diminuer, tout en aggravant les problèmes de santé publique qu’il prétend combattre.
À l’inverse, des pays comme le Japon ou le Royaume-Uni ont su adapter leur fiscalité pour encourager les produits à risque réduit, tout en réduisant la consommation de cigarettes traditionnelles. Ces politiques ont permis de créer de nouveaux emplois, d’attirer des investissements, et d’améliorer la santé publique. Pourquoi le Sénégal ne s’inspirerait-il pas de ces modèles, plutôt que de répéter les erreurs d’un passé récent ?
Le défi pour le Sénégal n’est pas de choisir entre rigueur budgétaire et innovation, mais de transformer sa fiscalité en un levier de développement. Il est encore temps d’adopter une approche progressive et incitative, qui reconnaisse le potentiel des alternatives technologiques et encourage leur adoption. Sinon, la question reste entière : combien de secteurs devront souffrir avant que l’État ne comprenne l’importance d’une fiscalité adaptée à l’innovation et à la compétitivité ?
Le Sénégal a tous les atouts pour devenir un pôle d’innovation industriel en Afrique de l’Ouest. Encore faut-il qu’il cesse de taxer l’avenir.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ismaïla Gueye.
Mis en ligne : 01/11/2025
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