La garde à vue et l’arbitraire : Quand la présomption d’innocence est bafouée - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Fait divers | Par Maimouna | Publié le 18/12/2025 02:12:00

La garde à vue et l’arbitraire : Quand la présomption d’innocence est bafouée

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L’arrestation de 15 présumés homosexuels à Diourbel, parmi lesquels figurent un marabout, un maître coranique et une personne porteuse du VIH, a défrayé la chronique. Partie d’une simple plainte pour vol, l’affaire a rapidement pris une tournure spectaculaire, révélant les dérives d’un système judiciaire où la présomption d’innocence semble bafouée au profit d’une moralisation forcée de la société. Si les faits reprochés sont graves, les conditions d’arrestation, de garde à vue et d’enquête posent question : l’État de droit sénégalais est-il encore garanti pour tous, ou certains citoyens sont-ils désormais jugés avant même d’être défendus ?

Le Sénégal pénalise les « actes contre nature » entre personnes de même sexe via l’article 319 du Code pénal, hérité de l’époque coloniale, avec des peines allant jusqu’à cinq ans de prison et 1,5 million de francs CFA d’amende. Cette loi, régulièrement brandie comme un rempart contre une prétendue « menace » homosexuelle, est appliquée avec une sévérité croissante, comme en témoignent les multiples tentatives de durcissement législatif ces dernières années. Pourtant, les arrestations arbitraires et les détentions sans preuve tangible sont dénoncées par les organisations de défense des droits humains, qui soulignent leur caractère discriminatoire et illégal au regard des traités internationaux ratifiés par le Sénégal.

Dans ce contexte, l’affaire de Diourbel s’inscrit dans une logique de répression plus large, où la simple suspicion d’homosexualité suffit à déclencher des procédures humiliantes et expéditives. Les examens gynécologiques imposés aux suspects, les aveux obtenus sous pression, et la médiatisation à charge rappellent les pires heures de la chasse aux sorcières.

Les 15 individus interpellés ont été placés en garde à vue sur la base de déclarations recueillies dans des conditions douteuses. Aucun élément matériel ne prouve, à ce stade, la commission d’actes sexuels entre adultes consentants seule infraction théoriquement visée par la loi. Pire, les examens médicaux subis, présentés comme des « preuves », relèvent davantage de la violation des droits fondamentaux que de la recherche de vérité. Human Rights Watch et le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire ont rappelé à plusieurs reprises que de telles arrestations, fondées sur l’orientation sexuelle présumée, sont par définition arbitraires et contraires au droit international.

Le recours à des méthodes aussi intrusives que les tests gynécologiques, ou la saisie de préservatifs et lubrifiants (pourtant utilisés dans la lutte contre le VIH), illustre une volonté de punir plutôt que de juger. Comme le note Amnesty International, ces pratiques poussent les minorités sexuelles à la clandestinité, fragilisant ainsi les efforts de santé publique et exposant les individus à des risques accrus de violences et de discriminations.

Aucune preuve matérielle ne corrobore les accusations d’« actes contre nature ». Les aveux, obtenus dans un contexte de pression policière et sociale, ne peuvent constituer une base solide pour une condamnation. En 2009, la Cour d’appel de Dakar avait déjà annulé une condamnation similaire, faute de preuves.

Les examens médicaux forcés, dénoncés par les ONG, violent le droit à la dignité et à l’intimité. Ils rappellent les pires pratiques répressives, où le corps des accusés devient un terrain de « preuve » fabriquée.

En ciblant des individus sur la base de rumeurs ou d’appartenance à un groupe WhatsApp, les autorités sénégalaises créent un précédent inquiétant. Demain, qui sera arrêté pour un message, une photo, ou une simple dénonciation anonyme ? La garde à vue, censée être une mesure exceptionnelle, semble ici utilisée comme un outil de punition préventive.

La médiatisation spectaculaire de l’affaire, avec son lot de détails intimes et de stigmatisation, répond davantage à une logique de satisfaction populaire qu’à un impératif de justice. Comme l’a souligné Marième N’Diaye, spécialiste du droit sénégalais, l’absence de conseil en garde à vue et le climat de peur qui entoure ces affaires rendent tout procès équitable illusoire.

Le Sénégal n’est pas un cas isolé. En Ouganda, au Ghana ou au Burkina Faso, les lois anti-LGBT+ sont régulièrement durcies, souvent sous la pression de groupes religieux ou nationalistes. Pourtant, le Sénégal se distingue par la fréquence et la violence des arrestations arbitraires, même comparé à des pays où l’homosexualité est également criminalisée. Le retrait du Sénégal de la liste des « pays d’origine sûrs » par l’OFPRA en 2021 en raison des risques de persécution liés à l’orientation sexuelle en dit long sur la dégradation de la situation.

L’affaire de Diourbel est révélatrice d’un système judiciaire où la morale prime sur le droit, où la présomption d’innocence est sacrifiée sur l’autel de l’opinion publique, et où les minorités sexuelles sont devenues des boucs émissaires commodes. Si le Sénégal veut rester un modèle de démocratie en Afrique, il doit urgemment réviser ses pratiques : abroger l’article 319, cesser les arrestations arbitraires, et garantir à tous le droit à un procès équitable.

La question reste entière : la garde à vue est-elle encore un outil de justice, ou un instrument de répression au service d’une société qui préfère punir que protéger ? La réponse dépendra de la capacité des institutions à résister à la tentation du populisme pénal et à réaffirmer les principes fondamentaux de l’État de droit. En attendant, chaque arrestation arbitraire est une tache indélébile sur la réputation d’un pays qui se veut terre de « terranga ».

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mor Gueye.
Mis en ligne : 17/12/2025

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