Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »
L’article révélant la mort tragique d’Issakha Touré, ouvrier de Dakarnave, après une chute mortelle dans un bassin non sécurisé, est plus qu’un simple fait divers : c’est le symptôme d’un scandale industriel et humain. Les images du drame, l’absence totale de protections, et les révélations sur les manquements répétés de l’entreprise montrent un système où la vie des travailleurs est sacrifiée sur l’autel de la négligence et de l’impunité.
En pleine année 2025, des normes de sécurité élémentaire, barrières, formations, équipements, sont ignorées, alors qu’elles sont depuis longtemps la règle ailleurs dans le monde et même, sur le papier, au Sénégal.
Au Sénégal, comme ailleurs, la réglementation en matière de sécurité sur les chantiers est précise. Le Code du travail sénégalais impose le port d’équipements de protection individuelle, la signalisation des zones à risques, et la formation des ouvriers aux procédures de sécurité. Les chantiers de construction, tout comme les chantiers navals, sont tenus de respecter des règles strictes : filets de sécurité, barrières, balisage, contrôles périodiques des machines, et briefings quotidiens pour sensibiliser les équipes. Pourtant, à Dakarnave, ces obligations semblent lettre morte.
Dans les pays développés, les chantiers navals modernes intègrent des technologies de pointe et des protocoles rigoureux pour éviter les accidents. En France, par exemple, les chantiers navals de Saint-Nazaire ou Lorient sont équipés de systèmes de surveillance, de drones pour inspecter les zones difficiles d’accès, et d’équipements de protection individuelle adaptés à chaque risque. Même en Afrique, des pays comme le Maroc ou l’Afrique du Sud appliquent des normes strictes, avec des inspections régulières et des sanctions en cas de manquement.
À Dakarnave, en revanche, les bassins restent ouverts, sans protection, et les travailleurs évoluent dans un environnement où le moindre faux pas peut être fatal. Pire : ce n’est pas la première fois qu’un tel drame survient. Plusieurs accidents similaires auraient déjà eu lieu, sans qu’aucune mesure concrète ne soit prise pour y remédier.
L’accident d’Issakha Touré n’est pas une fatalité. C’est le résultat direct de choix délibérés : ne pas installer de rambardes, ne pas former les ouvriers, ne pas entretenir les équipements. Pourtant, les solutions existent et sont bien connues. Les normes internationales et les réglementations locales exigent des dispositifs de protection autour des zones dangereuses, des formations régulières, et des contrôles stricts.
Pourquoi, dès lors, Dakarnave continue-t-elle à fonctionner en dehors de ces règles ? La réponse tient en partie au contrat « léonin » qui lie l’entreprise à l’État sénégalais depuis 1999. Ce contrat, qualifié de déséquilibré par de nombreux observateurs, a permis à Lisenave (via sa filiale Dakarnave) de gérer les chantiers sans rendre de comptes, ni sur la sécurité, ni sur la qualité des infrastructures. Les audits révèlent que l’entreprise n’a jamais respecté ses engagements en matière d’investissement, de formation, ou de maintenance. Les installations sont laissées à l’abandon, et les travailleurs paient le prix de cette gabegie.
Le plus choquant, c’est que cette situation perdure alors même qu’un nouveau repreneur est en cours de sélection. Plutôt que de profiter de cette transition pour exiger des garanties en matière de sécurité, on assiste à des tentatives d’étouffement de l’affaire, comme si la vie d’un ouvrier valait moins qu’un contrat juteux.
La question est simple : à qui profite cette absence de sécurité ? Certainement pas aux travailleurs, ni à leurs familles. En revanche, elle permet à l’entreprise de réduire ses coûts, de maximiser ses profits, et de continuer à opérer sans être inquiétée. Mais à quel prix ?
Pour les ouvriers : le prix, c’est leur vie. Issakha Touré n’est pas une exception. Combien d’autres accidents n’ont pas été médiatisés ? Combien de vies brisées ou de carrières interrompues à cause de conditions de travail indignes ?
Pour l’État : le prix, c’est la crédibilité du Sénégal. Comment attirer des investisseurs sérieux ou prétendre à une industrie navale moderne si les chantiers nationaux sont synonymes de danger et d’impunité ?
Pour la société : le prix, c’est la normalisation de l’inacceptable. Quand une entreprise peut impunément ignorer les règles les plus basiques, c’est toute la confiance dans les institutions qui est sapée.
La compétitivité ne devrait jamais rimer avec négligence. Les chantiers navals italiens ou français prouvent qu’il est possible d’être performant tout en garantissant la sécurité des travailleurs. Au Sénégal, en revanche, on semble encore croire que le développement économique justifie de fermer les yeux sur les drames humains.
La mort d’Issakha Touré doit marquer un tournant. Il est temps que les autorités sénégalaises, les nouveaux repreneurs, et la société civile exigent :
L’application immédiate et sans concession des normes de sécurité : barrières, formations, équipements, contrôles. La transparence totale sur les conditions de travail à Dakarnave et dans tous les chantiers du pays. Des sanctions exemplaires contre les responsables des manquements, pour briser la culture de l’impunité. Un nouveau contrat de concession qui place la sécurité et la dignité des travailleurs au cœur des priorités.
En 2025, mourir au travail faute d’une simple rambarde n’est pas un accident. C’est un crime. Et faut que la justice soit rendue pour Issakha Touré, et pour tous ceux qui risquent leur vie chaque jour sur ces chantiers. La sécurité n’est pas un luxe. C’est un droit.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Badara D. Diouf.
Mis en ligne : 06/09/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.




