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Lundi dernier, à Point E, un jeune ouvrier de 27 ans, M. Diatta, a perdu la vie en chutant du 9ᵉ étage d’un immeuble en construction. Les secours n’ont pu que constater son décès, et le responsable du chantier a été interpellé. Si l’enquête devra établir les circonstances exactes de ce drame, une vérité s’impose déjà : au Sénégal, les ouvriers du bâtiment meurent parce que leur sécurité n’est pas une priorité.
Derrière chaque accident, se cache un système qui sacrifie les plus précaires au nom d’une modernisation à tout prix. Cet article ne se contente pas de déplorer un accident de plus. Il dénonce l’hypocrisie d’un pays qui érige des gratte-ciel tout en enterrant ses travailleurs, faute de protections, de formations et de syndicats assez forts pour les défendre.
Le secteur de la construction au Sénégal est l’un des plus dangereux : près de 10 % des accidents du travail y surviennent. En 2024, plus de mille accidents ont été officiellement déclarés, mais ce chiffre ne reflète qu’une partie de la réalité, tant les déclarations sont souvent omises. Chaque année, ce sont plusieurs milliers de travailleurs qui sont victimes d’accidents, avec des conséquences parfois fatales. Pourtant, des décrets existent, fixant les prescriptions minimales de sécurité sur les chantiers. Mais à quoi servent des textes si personne ne les applique ?
En Europe ou au Canada, la sécurité sur les chantiers est une obsession. En France, par exemple, le nombre d’accidents graves et mortels a significativement baissé grâce à des formations obligatoires, des contrôles stricts et une responsabilité partagée entre tous les acteurs. Au Québec, chaque décès sur un chantier déclenche une alerte nationale et des sanctions immédiates. Au Sénégal, en revanche, les inspections sont rares, les sanctions exceptionnelles, et les ouvriers, souvent sous-traités, travaillent sans équipement, sans formation, et pour des salaires de misère.
Les victimes sont toujours les mêmes : des jeunes, souvent sans contrat, payés à la journée, et sans couverture sociale. La convention collective du BTP prévoit des salaires et des protections, mais son application reste lettre morte pour la majorité des travailleurs. Les syndicats, bien que légalement reconnus, manquent de moyens pour faire respecter les droits des ouvriers. Résultat : la sous-traitance en cascade permet aux promoteurs de se déresponsabiliser, tandis que les ouvriers, sans filet de sécurité, risquent leur vie pour quelques milliers de francs CFA par jour.
Le drame de Point E n’est pas un accident isolé. Il est le symptôme d’un système où la vie d’un ouvrier vaut moins qu’un permis de construire. Les promoteurs, pressés par les délais et les profits, négligent les normes. Les autorités, sous-équipées et parfois corrompues, ferment les yeux. Et les travailleurs, sans voix, paient le prix fort.
Les immeubles de standing poussent à Dakar, mais les ouvriers qui les construisent n’ont même pas droit à un harnais. En Europe, un chantier sans équipement de protection est immédiatement arrêté. Au Sénégal, on attend qu’un homme meure pour réagir.
Le Code du travail et les décrets existent, mais leur application est laxiste. Les inspections sont insuffisantes, et les sanctions, quand elles tombent, sont dérisoires. Pourtant, la réglementation sénégalaise exige des formations, des équipements et des procédures strictes. Où sont les contrôles ? Où sont les peines exemplaires pour les responsables ?
Sans contrat, sans formation, et avec des salaires indécents, les ouvriers n’ont pas le choix : ils acceptent de travailler dans des conditions dangereuses, ou ils perdent leur emploi. La convention collective du BTP prévoit des échelles salariales et des protections, mais dans les faits, la majorité des travailleurs du secteur informel en sont exclus.
Les syndicats du BTP existent, mais leur poids est limité. Ils peinent à organiser les travailleurs précaires, et leurs revendications se heurtent à l’indifférence des pouvoirs publics et des employeurs.
En Belgique, en France ou au Canada, un accident mortel sur un chantier provoque une enquête immédiate, des sanctions lourdes, et un débat national. Les entreprises sont tenues de former leurs employés, de sécuriser les sites, et de rendre des comptes. Au Sénégal, on enterre les victimes, on interpelle (parfois) un responsable, et on passe à autre chose. Pourtant, des solutions existent : renforcer les inspections, sanctionner les manquements, et donner aux syndicats les moyens d’agir.
La mort de M. Diatta n’est pas une fatalité. C’est le résultat d’un système qui préfère construire des immeubles plutôt que protéger ceux qui les édifient. Tant que la sécurité des ouvriers ne sera pas une priorité absolue, tant que les promoteurs et l’État ne seront pas tenus pour responsables, les drames continueront.
Le Sénégal se modernise, mais à quel prix ? Celui de la vie de ses ouvriers ? Il est temps que les lois soient appliquées, que les inspections soient renforcées, et que les syndicats puissent enfin défendre ceux qui bâtissent le pays. Sinon, chaque nouveau chantier sera une nouvelle tombe en devenir.
La question reste posée : combien de morts faudra-t-il pour que le Sénégal arrête de construire sur le dos de ses travailleurs ?
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Bassirou Thiam.
Mis en ligne : 27/09/2025
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