Polygamie et violences conjugales : Quand la tradition légitime l’injustice - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Fait divers | Par Maimouna | Publié le 20/12/2025 02:12:45

Polygamie et violences conjugales : Quand la tradition légitime l’injustice

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La vidéo de Mame Diarra, première épouse de l’influenceur Souhaibou Telecom, a suscité une vague d’indignation sur les réseaux sociaux. On y découvre une jeune femme au visage tuméfié, silencieuse, dont les blessures parlent à sa place. Si aucune preuve ne permet encore d’incriminer formellement son mari, cette affaire interroge bien au-delà du cas individuel : elle met en lumière un système où la polygamie, souvent présentée comme une tradition sacralisée, peut devenir un terreau fertile pour les violences conjugales. La polygamie, telle qu’elle est pratiquée au Sénégal, n’est pas une simple option matrimoniale, mais un mécanisme de domination masculine qui expose les femmes à des risques accrus de marginalisation et d’abus.

Au Sénégal, la polygamie est légalement autorisée, encadrée par le Code de la famille qui offre aux hommes le choix entre monogamie, polygamie limitée ou polygamie classique (jusqu’à quatre épouses). Près de 32 % des femmes sénégalaises vivent en union polygame, une proportion qui reste stable depuis des décennies. Pourtant, derrière ces chiffres se cachent des réalités souvent douloureuses : rivalités entre coépouses, inégalités économiques, et surtout, une vulnérabilité accrue des femmes face aux violences.

Les études le confirment : les conflits sont plus fréquents dans les ménages polygames, et les risques de maltraitance physique ou psychologique y sont significativement plus élevés. La première épouse, souvent délaissée après l’arrivée d’une nouvelle conjointe, se retrouve dans une position de fragilité, comme le suggère le cas de Mame Diarra. Les réseaux sociaux avaient d’ailleurs déjà pointé du doigt le comportement de Souhaibou Telecom, accusé de négligence envers sa première épouse depuis son remariage.

La polygamie n’est pas, en soi, synonyme de violence. Mais dans un contexte où les inégalités de genre sont structurelles, elle devient un outil de domination. Plusieurs mécanismes expliquent ce lien :

L’arrivée d’une nouvelle épouse modifie radicalement la dynamique familiale. La première épouse, souvent privée d’attention et de ressources, se retrouve en position de faiblesse. « Les relations entre coépouses sont le plus souvent marquées par la rivalité et la violence », souligne une étude sur les souffrances psychiques dans les familles polygames. Ce déséquilibre est encore aggravé lorsque l’homme, comme Souhaibou Telecom, est une personnalité publique dont l’image prime sur le bien-être de ses épouses.

La polygamie, bien qu’encadrée par la loi, reste profondément inégalitaire. Le Code de la famille sénégalais stipule que chaque épouse doit être traitée « à égalité », mais dans les faits, cette égalité est rarement respectée. Les femmes, souvent dépendantes économiquement, n’ont guères de moyens de pression pour exiger leurs droits. Comme le note une experte du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), « le fait que la polygamie ne soit possible que pour les hommes est discriminatoire envers les femmes ».

Les violences conjugales, dans un contexte polygame, sont rarement dénoncées. Les victimes, par peur du stigmate ou de représailles, préfèrent souvent se taire. Une enquête récente révèle que 70,2 % des femmes sénégalaises ont subi des violences conjugales, un chiffre effarant qui interroge sur l’efficacité des dispositifs de protection.

Les études montrent que les ménages polygames sont plus exposés aux conflits, notamment pour des questions de ressources et d’attention. Ces tensions dégénèrent fréquemment en violences physiques ou psychologiques. Le cas de Mame Diarra illustre cette dynamique : son mari, critiqué pour avoir « délaissé » sa première épouse, incarne cette logique où la polygamie devient un prétexte pour marginaliser une femme au profit d’une autre.

Dans une société où la polygamie est encore perçue comme une norme, les hommes bénéficient d’une forme d’immunité sociale. Les victimes, elles, sont souvent culpabilisées ou encouragées à « supporter » leur sort. Cette tolérance collective envers les abus est d’autant plus préoccupante que les lois, bien qu’existantes, peinent à être appliquées.

Malgré les avancées féministes, la polygamie reste ancrée dans les mentalités, légitimée par la religion et la tradition. Pourtant, comme le rappelle une féministe sénégalaise, « tant que l’homme ne respectera pas ses devoirs d’époux, les féministes continueront à lutter contre la polygamie ». Le cas de Mame Diarra doit servir de déclic : il est temps de questionner non pas la polygamie en tant que pratique, mais les rapports de pouvoir qu’elle perpétue.

Au Cameroun, des recherches ont montré que les violences conjugales dans les foyers polygames sont « multidimensionnelles », touchant aussi bien les femmes que les enfants, et souvent banalisées. En France, où la polygamie est interdite, les débats portent sur son impact psychologique et social, notamment pour les femmes et les enfants issus de ces unions. Partout, un constat s’impose : la polygamie, lorsqu’elle s’inscrit dans un système patriarcal, aggrave les risques de violences.

L’affaire Mame Diarra n’est pas un fait divers isolé, mais le symptôme d’un malaise plus profond. La polygamie, telle qu’elle est pratiquée au Sénégal, n’est pas une simple tradition : elle est un système qui, en l’absence de garde-fous réels, expose les femmes à la violence et à l’injustice. Il ne s’agit pas de diaboliser une pratique culturelle, mais de reconnaître que son exercice actuel perpétue des inégalités et des souffrances inacceptables.

Pour briser ce cycle, il faut à la fois renforcer les lois protégeant les femmes, éduquer les hommes à l’égalité, et surtout, cesser de considérer la polygamie comme un droit intouchable. Comme le martèlent les féministes sénégalaises, « si on aime quelqu’un, on ne doit pas lui faire de mal ». La dignité des femmes ne devrait jamais être le prix à payer pour perpétuer une tradition.

Comment concilier respect des traditions et protection effective des droits des femmes dans un contexte comme celui du Sénégal ? La réponse ne réside-t-elle pas dans une refonte profonde des mentalités, bien au-delà des lois ?

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Anonyme.
Mis en ligne : 20/12/2025

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