Le 4 juillet 2025, la cinéaste sénégalaise Angèle Diabang livre enfin « Une si longue lettre », première adaptation à l’écran du roman culte de Mariama Bâ. Derrière l’événement artistique se cache une réalité glaçante : la polygamie dénoncée dans l’œuvre originale continue de détruire des vies sous couvert de tradition. Célébrer l’exotisme d’un “usage culturel” revient à entretenir l’inhumanité.
Au Sénégal, près d’un ménage sur trois serait polygame selon les estimations les plus récentes. Dans les campagnes comme dans les villes, la prise d’une seconde, d’une troisième voire d’une quatrième épouse demeure socialement valorisée. Pourtant, les données internationales montrent que cette pratique accroît la précarité des femmes et alourdit le fardeau socio-économique de toute la communauté.
Angèle Diabang reste fidèle au roman : Ramatoulaye voit son univers s’écrouler lorsque son mari épouse l’amie de leur fille. Le casting d’Amélie Mbaye et de Serge Abessolo, déjà salué au New York African Film Festival, promet un réalisme implacable. En projetant cette histoire au Pathé de Dakar puis sur les écrans étrangers, le film met à nu la violence silencieuse des polygynes : spoliation économique, isolement psychique, rivalités instrumentalisées. Loin des clichés de l’harmonie familiale, la caméra révèle le “marchandage” des épouses et l’enracinement institutionnel de l’injustice.
Les revues médicales sont sans appel : anxiété, dépression, hostilité et troubles somatoformes sont significativement plus élevés chez les femmes polygames que chez les monogames.
Dans une économie polygame, jusqu’à 20 % du PIB est absorbé par la seule production d’enfants, contre 3,5 % en contexte monogame un gouffre qui freine l’investissement productif et l’épargne.
Les études régionales soulignent une moindre utilisation de la planification familiale et un désir d’enfants plus élevé chez les co-épouses, poussant les ménages au-delà de leurs ressources.
La logique arithmétique est brutale : pour qu’un homme ait quatre femmes, trois autres hommes resteront sans partenaire. Ces “perdants du système” grossissent les rangs du chômage, de l’exode clandestin et parfois de la violence politique.
Le Rwanda, l’Éthiopie ou même la Côte d’Ivoire ont entrepris de restreindre drastiquement la polygamie ou de la délégitimer par des campagnes publiques. Dans ces pays, on observe simultanément la hausse de la scolarisation féminine et la baisse de la mortalité maternelle. Le Sénégal continue, quant à lui, d’afficher une tolérance coupable.
Une si longue lettre n’est pas seulement un film ; c’est une gifle cinématographique contre un système patriarcal fossilisé. Que cette œuvre soit prise pour ce qu’elle est réellement : un acte d’accusation contre une injustice normalisée. La question n’est plus culturelle, mais humaine. Le statu quo n’est ni neutre ni tenable.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Aminata Mané.
Mis en ligne : 24/06/2025
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