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Le 25 septembre 2025, le ministre de la Culture, Amadou Bâ, a rendu un vibrant hommage à l’artiste Abdoulaye Diallo, « le Berger de l’île de Ngor », saluant sa « contribution exceptionnelle » à la culture sénégalaise et africaine. Ce communiqué, empreint d’émotion et de reconnaissance, soulève une question récurrente : pourquoi faut-il attendre la mort d’un artiste pour célébrer son génie ? Derrière les mots solennels se cache une réalité plus amère : celle d’un État qui, trop souvent, néglige ses créateurs de leur vivant, avant de les ériger en icônes posthumes.
Cette pratique, loin d’être anecdotique, révèle un manque criant de soutien concret aux artistes, une instrumentalisation politique de la culture, et une hypocrisie institutionnelle qui mérite d’être dénoncée.
Au Sénégal, comme dans beaucoup de pays africains, les artistes vivent souvent dans une précarité alarmante, malgré leur talent et leur contribution inestimable à la richesse culturelle nationale. Le budget alloué à la Culture pour 2024 s’élève à peine à 21 milliards de FCFA, soit moins de 0,5 % du budget national, un montant dérisoire au regard des enjeux et des besoins du secteur. Les mécanismes de soutien existent sur le papier – appels à projets, subventions, fonds d’aide mais ils restent insuffisants, bureaucratiques et difficilement accessibles. Les artistes doivent se battre pour obtenir des financements, souvent accordés avec parcimonie et sous conditions strictes, tandis que les structures d’accompagnement (galeries, résidences, centres culturels) manquent cruellement.
Pire, les exemples d’artistes sénégalais célébrés après leur mort, mais abandonnés pendant leur carrière, sont légion. Des figures comme Ousmane Sow, Ndoye Douts, ou encore Thione Seck, ont marqué l’histoire culturelle du pays, mais beaucoup ont vécu dans l’indifférence, voire la misère, avant de devenir des symboles nationaux. Leur héritage est alors récupéré par le pouvoir, qui en fait des étendards de la « fierté sénégalaise », sans jamais avoir vraiment investi dans leur travail ou leur dignité.
Le communiqué du ministre Amadou Bâ suit un schéma bien rodé : un langage lyrique (« âme en paix », « terre légère »), une reconnaissance unanime de l’apport de l’artiste, et des condoléances adressées à la famille et à la « communauté artistique ». Pourtant, où était l’État quand Abdoulaye Diallo avait besoin de soutien logistique, financier ou institutionnel ? Où étaient les musées, les expositions, les programmes éducatifs pour perpétuer son œuvre et celle de ses pairs ?
La réponse est simple : la culture, au Sénégal, est trop souvent réduite à une vitrine, un outil de communication pour les gouvernements successifs. Les hommages posthumes permettent de se donner une image de protecteur des arts, sans pour autant engager les moyens nécessaires pour soutenir les artistes vivants. C’est une forme d’instrumentalisation politique, où la mémoire des disparus sert à masquer l’absence de politique culturelle ambitieuse et pérenne.
Cette pratique n’est pas nouvelle. Youssou N’Dour, avant de devenir ministre, a longtemps dénoncé le manque de soutien aux musiciens sénégalais. D’autres, comme Viviane Chidid ou Wally Seck, malgré leur succès, doivent compter sur leur propre résilience et leur sens des affaires pour survivre dans un environnement peu propice. Quant aux artistes moins médiatisés, ils sombrent dans l’oubli, faute de moyens et de reconnaissance.
Les artistes sénégalais, qu’ils soient musiciens, plasticiens ou comédiens, peinent à vivre de leur art. Les cachets sont bas, les contrats précaires, et les protections sociales quasi inexistantes. Le statut de l’artiste, adopté en 2020, était censé changer la donne, mais sa mise en œuvre reste lente et inefficace.
Les hommages posthumes sont une aubaine pour les dirigeants. Ils permettent de s’afficher comme des défenseurs de la culture, sans avoir à justifier l’absence de mesures fortes en faveur des créateurs. Le Sénégal, comme d’autres pays africains, excelle dans l’art de célébrer ses morts, mais peine à accompagner ses vivants.
Combien d’artistes sénégalais sont morts dans l’indifférence générale, avant d’être « redécouverts » par les autorités ? La liste est longue : Sidy Diallo, Mar Seck, Doudou N’Diaye Rose, et bien d’autres, ont connu le même sort. Leur talent n’a été reconnu qu’une fois leur voix éteinte.
En France, le ministère de la Culture dispose d’un budget de près de 11 milliards d’euros, avec des dispositifs d’aides déconcentrées, des conventions pluriannuelles pour les compagnies, et un accompagnement réel des intermittents du spectacle. Même dans des pays africains comme le Nigeria ou l’Afrique du Sud, les artistes bénéficient de plus de visibilité et de soutien institutionnel. Au Sénégal, en revanche, la culture reste le parent pauvre des politiques publiques, reléguée au rang de variable d’ajustement budgétaire.
La mort d’Abdoulaye Diallo doit servir de déclic. Plutôt que de multiplier les communiqués larmoyants, l’État sénégalais devrait enfin mettre en place des mesures concrètes : revalorisation du budget de la Culture, simplification des procédures d’aide, création de fonds d’urgence pour les artistes en difficulté, et surtout, une reconnaissance à leur juste valeur des femmes et des hommes qui font vivre la création.
Les hommages posthumes ne suffisent plus. Il faut que le Sénégal cesse de pleurer ses artistes et commence à les vivre. La vraie mémoire, c’est celle qui s’écrit au présent, pas dans les nécrologies. Abdoulaye Diallo, comme tant d’autres, méritait mieux qu’un communiqué. Il méritait un pays à la hauteur de son génie.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Talla Ndiaye.
Mis en ligne : 01/10/2025
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