Ce passeport qui mène nulle part : Le diplôme sénégalais - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Education | Par Eva | Publié le 26/10/2025 11:10:30

Ce passeport qui mène nulle part : Le diplôme sénégalais

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Un article récent vantait les mérites de l’organisation, de la rigueur académique et des services d’impression comme BachelorPrint pour « réussir son parcours universitaire au Sénégal ». Il décrivait, avec optimisme, les efforts des étudiants pour produire des mémoires impeccables, gérer leur temps et exploiter les ressources disponibles, comme si ces éléments suffisaient à garantir une insertion professionnelle. Pourtant, derrière cette façade de réussite se cache une réalité bien plus sombre : le diplôme universitaire, loin d’être un sésame vers l’emploi, est trop souvent une illusion qui mène droit à la précarité.

Chaque année, des milliers de jeunes Sénégalais obtiennent leur diplôme, mais se retrouvent sans emploi, condamnés à errer entre stages non rémunérés, petits boulots informels et désillusion. L’université sénégalaise, plutôt que d’être un ascenseur social, est devenue une usine à diplômés précaires, entretenant un mirage qui profite à quelques-uns et broie les espoirs de la majorité.

Le Sénégal compte l’une des populations les plus jeunes d’Afrique, avec une majorité de moins de 25 ans. Pourtant, le taux de chômage des jeunes atteint des niveaux alarmants : 24 % chez les 15-24 ans en 2025, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), avec des pics à 43 % en milieu rural et chez les femmes. Chaque année, ce sont plus de 200 000 nouveaux diplômés qui arrivent sur un marché du travail incapable de les absorber. Les filières universitaires, souvent déconnectées des réalités économiques, forment des jeunes pour des emplois qui n’existent pas. Les sciences sociales et humaines, par exemple, représentent encore la majorité des inscriptions, alors que les secteurs porteurs (numérique, agriculture, industrie) manquent cruellement de main-d’œuvre qualifiée. Résultat : des milliers de diplômés en droit, en économie ou en lettres se retrouvent sans perspective, tandis que les entreprises peinent à recruter des techniciens ou des ingénieurs.

L’article met en avant la qualité de la rédaction et de la présentation des travaux universitaires comme des « atouts pour la réussite ». Pourtant, à quoi sert un mémoire parfaitement relié chez BachelorPrint si son auteur finit vendeur ambulant ou chauffeur de taxi ? Les étudiants sont incités à investir temps et argent dans des normes formelles (police, mise en page, reliure) qui, une fois le diplôme en poche, ne pèsent rien face à l’absence de débouchés. Les initiatives comme la médiathèque de Méckhé ou les documents pédagogiques du LSQuanti sont louables, mais elles ne résolvent pas le problème de fond : l’inadéquation entre l’offre de formation et la demande du marché.

Les témoignages d’anciens étudiants sont édifiants. Beaucoup racontent avoir enchaîné les stages non payés, les CDD précaires, ou avoir dû se résoudre à l’exil ou à l’informel. « Depuis 2013, je dépose des candidatures, mais je n’arrive même pas à avoir un stage », confie un diplômé en gestion. D’autres, titulaires de masters ou de doctorats, survivent comme vacataires dans l’enseignement supérieur, sans contrat ni sécurité sociale. Le système universitaire, plutôt que de préparer à l’emploi, semble conçu pour produire des chômeurs qualifiés.

Les universités sénégalaises continuent de former massivement dans des disciplines saturées, sans concertation avec les employeurs. Les filières techniques et professionnelles, pourtant essentielles, ne représentent que 16 % des inscriptions.

Le diplôme ne protège plus. Selon l’ANSD, le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les jeunes diplômés que chez les non-diplômés. Beaucoup finissent dans l’informel, où 90 % des jeunes travaillent sans protection sociale.

La société sénégalaise valorise encore le diplôme comme unique voie de réussite, poussant les familles à sacrifier leurs économies pour des études qui ne mènent nulle part. Le résultat ? Une jeunesse frustrée, prête à tout pour quitter le pays, comme en témoignent les vagues migratoires clandestines.

En Afrique du Nord, en Europe du Sud, ou même en France, les jeunes diplômés subissent aussi la précarité. Mais au Sénégal, le problème est aggravé par l’absence de filets sociaux et la faiblesse des politiques publiques d’insertion. Contrairement à la France, où des dispositifs comme les 35 heures ou les contrats aidés ont tenté de limiter le chômage des jeunes, le Sénégal mise sur des solutions cosmétiques : formations courtes, promesses électorales, et appels à l’entrepreneuriat individuel, sans accompagner les jeunes dans la création d’entreprises viables.

L’université sénégalaise ne peut plus se contenter de délivrer des diplômes. Elle doit urgemment réformer ses curricula, renforcer les liens avec le secteur privé, et orienter les étudiants vers des filières porteuses. Sinon, elle continuera à produire des générations de chômeurs diplômés, condamnés à survivre dans l’informel ou à fuir leur pays. La réussite universitaire ne se mesure pas à la qualité d’une reliure, mais à la capacité des diplômés à trouver un emploi décent. Tant que ce décalage persistera, le diplôme restera un mirage et l’université, une machine à broyer les rêves.

Et vous, que proposez-vous pour briser ce cercle vicieux ?

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ibrahima Diop.
Mis en ligne : 26/10/2025

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